Les agences de presse
"L'AFP est devenue un rouage essentiel de l'information, àà
caractère quasi monopoliste. Aujourd'hui, la majorité des
grands journaux de province et même la majorité des journaux
parisiens, sans tenir compte de la radio et de la TV, recueillent presque
à la lettre les informations diffusées par l'AFP sans les
rédiger une deuxième fois et même en conservant les
titres suggérés par l'AFP", écrivait en 1982 Roque
Faraone qui y avait travaillé.
Vingt journaux, à peine, peuvent prétendre à l'indépendance
dans la collecte des informations internationales: la plupart concentrés
aux USA, au Japon, en Angleterre ou en France. Les autres dépendent
des agences de presse. Le taux de copies d'agences varie selon les médias:
40 à 70% en Europe, jusqu'à 80% en Afrique. Quatre grandes
agences, les américaines Associated Press et UPI, la britannique
Reuter et la française AFP, constituent un véritable monopole
de fait. Il faudrait des investissements colossaux pour lancer une nouvelle
agence internationale.
Julius Reuter fonda son agence en 1851, en étant le premier à
utiliser des pigeons pour transmettre les cours de Bourse entre Bruxelles
et Aix-la-Chapelle. Tout au long de l'histoire, les agences de presse allaient
rester au service de la finance. Aujourd'hui, Reuter, dont le correspondant
local fut le premier à annoncer au monde l'invasion du Koweït,
est lié à 200 000 terminaux dans les banques, les rédactions
et les chancelleries de 159 pays.
Voilà les
clients.
Des conflits récents en France et en Belgique
ont souligné l'évolution générale qui soumet
les agences aux besoins du business. A l'AFP, le financement est assuré
à 60% par l'Etat, à 15% par la presse, mais les patrons de
presse ont la majorité au conseil d'administration. Ils pourraient
décider de se passer de l'AFP. Même tendance en Belgique:
"les journaux belges, en pratiquant une réorganisation de leur rédaction,
pourraient envisager de se passer le l'agence Belga." Les groupes multimédias
japonais, allemands, italiens ne disposent pas d'agence à vocation
mondiale, mais ont mis en place des groupes de presse dotés de moyens
télématiques et disposant de centaines, voire de milliers
de correspondants dans le monde pour couvrir notamment les questions économiques
et financières. Le Monde, par exemple, oriente de plus en plus sa
banque de données vers le service direct aux entreprises.
Selon Guy Pélachaud, le capitalisme français
n'ayant plus besoin d'agence de presse basée sur "une certaine notion
de service public destiné à justifier l'intervention de l'Etat
au nom d'une pseudo-objectivité journalistique", la réorganisation
de l'AFP vise à "restructurer la production de l'information et
les outils de communication en fonction des besoins des grandes firmes
industrielles et des groupes financiers de taille multinationale."
Liés au pouvoir
Qui décide ce dont les médias vous
parleront aujourd'hui? Qui fournit aux journalistes leur matière
première? Toujours les mêmes sources, en fait: gouvernement,
administrations, entreprises. Cet establishment produit chaque jour un
flot d'informations toutes prêtes: compte rendus de conférences
de presse, dossier de documentation, annonces d'activités, rapports
de commission, transcriptions d'interviews radio ou TV, prévisions
de chefs d'entreprises, bilans de société, invitations à
reception ou spectacle, résumés de séminaire... Sans
oublier des milliers de coups de téléphone.
Tout ceci suppose de gros moyens pour alimenter
et influencer les médias. Ceux qui nous informent, ont effectivement
de gros moyens. Par exemple, les militaires américains. La seule
force aérienne à reconnu, il y a une dizaine d'années,
employer plus de 1 300 personnes à plein temps dans son service
d'information au public, éditer 140 journaux représentant
un tirage hebdomadaire de
690 000 exemplaires, posséder 34 stations
radio et 17 stations TV, publier chaque année plus de 600 000 communiqués
de presse, 11 000 discours et 6 600 interviews dans les médias.
Source: Air Force Time, 28 avril 1980.
Il faut y ajouter les autres branches de l'armée
et le Pentagone: 1 203 périodiques à lui tout seul.
On est donc loin d'une représentation naïve
du journaliste consciencieux, s'asseyant chaque matin à son bureau
et se demandant: où vais-je chercher mes informations, qui vais-je
écouter? Toutes ces décisions sont déjà prises
pour lui. dans la majorité des cas, le journaliste ne choisit pas
ses sources, elles s'imposent à lui. Que ce soit directement par
les documents dont nous venons de parler ou que ce soit via les dépêches
d'agences qui, en définitive, relaient les mêmes sources.
S'approvisionner auprès des sources institutionnelles
offre aux médias beaucoup d'avantages. D'abord, c'est pas cher:
pas besoin d'envoyer des reporters un peu partout dans l'espoir de trouver
la matière première; elle tombe toute cuite, et même
prémâchée: combien de communiqués de presse
sont repris plus ou moins tels quels? De plus, ces sources, bénéficiant
de leur prestige, font autorité. Pas besoin donc de vérifier
les informations. Nouvelle économie.
La triple alliance
Ben Bagdikian a calculé que l'establishment
représentait 82% des sources des quotidiens américains dépassant
50 000 exemplaires.
Le public croit que c'est
un journaliste qui lui parle. En fait, c'est le pouvoir. Voilà pourquoi,
aux USA ou en Europe, tous les médias disent pratiquement la même
chose.
On se trouve en fait devant une triple alliance:
politiciens et patrons ont besoin des journalistes pour s'assurer une bonne
image: en retour, les journalistes ont besoin d'eux pour disposer tous
les jours d'informations régulières, gratuites et faisant
autorité.
Cette triple alliance intègre les journalistes
dans l'establishment. Et le public se retrouve ainsi, sans le savoir, complètement
encerclé: "Les professionnels des relations publiques, les chargés
de la communication et les attachés de presse de tout poil ont pratiquement
gagné leur pari: ils ont réussi à manipuler et à
encercler la presse quotidienne, électronique et écrite.
Ils n'ont qu'à siffler et accourt la cohorte", dénonce un
journaliste québécois.
Qui domine ce ménage à trois? certainement
pas le journaliste. Comment pourrait-il se priver de ses sources essentielles?
Le plus souvent, il n'imagine même plus de travailler autrement que
dans cette routine, à supposer que son patron le lui permette...
Sa dépendance le rend "accro". L'establishment "tient" le journaliste
en combinant trois méthodes, déjà évoquées:
sélectionner,
gaver, punir. Sélectionner les médias à qui on fournira
la manne quotidienne, les gaver de sorte qu'ils n'éprouvent pas
le besoin de chercher d'autre nourriture, les punir quand par hasard ils
se montrent indisciplinés et critiquent les affirmations officielles
ou s'informent auprès de sources "dissidentes".
L'ensemble des trois méthodes, auxquelles
s'ajoute le chantage publicitaire, est suffisamment efficace pour dissuader
tout média récalcitrant. Le gavage institutionnel devient
ainsi la méthode de base qui produit notre information. Ne serait-il
pas plus franc de faire présenter le journal télévisé,
par exemple, selon une tournante: lundi, un attaché de presse du
président, mardi, celui du premier ministre, mercredi, une entreprise
pétrolière ou automobile, jeudi, l'armée et ainsi
de suite... De toute façon, la plupart des nouvelles, et leur interprétation,
proviennent quand même d'eux! Mais évidemment, la crédibilité
de l'information exige un habillage "indépendant" par des journalistes.
A propos du prétendu "quatrième
pouvoir" que constituerait la presse, écoutons Philippe Guilhaume,
bien placé pour en juger puisqu'il fut président éphémère
d'Antenne 2 et FR3:
"J'ai découvert
que quelques hommes, dont les Français ignorent l'existence, détiennent
l'essentiel du pouvoir. Etrange dérive que ce régime qui
se réclame de la légitimité de l'élection,
se présente comme un gouvernement d'autorité, et qui, en
fait, a laissé s'organiser le règne des anonymes. Un Jean-Paul
Huchonn un Gilles Ménage, que personne ne connaît en France,
ont infiniment plus de pouvoirs que n'importe quel ministre, exceptions
faites sans doute des ministres de l'Economie et du Budget."
Le dégommage-éclair de Guilhaume
le confirmerait: un président de chaîne publique a donc moins
de pouvoir que les conseillers discrets de Mitterrand. Sans parler du pouvoir,
plus discret et plus important encore, des multinationales...
Servilité et complaisance
On ne va pas descendre en flammes sa propre source
d'information, qui vous mâche la besogne quotidienne. L'attitude
des médias à l'égard de leurs sources est donc basée
sur la complaisance. Au-delà de la comédie des "Bêbête
show", qui fait diversion, au-delà des rivalités entre partis
dominants, valorisés par certains médias, sur les questions
fondamentales, nos médias ne témoignent d'aucun esprit réellement
critique.
Ce livre a montré à quel point
ils ont avalé sans aucune pudeur toutes les couleuvres de la propagande
alliée dans le Golfe. Une simple anecdote encore, pour illustrer
cette complaisance. Le 18/01/91, Coëme, ministre belge de la Défense,
annonce à la RTBF "qu'un troisième chasseur de mines belge
sera bientôt engagé dans le Golfe. Il s'agit d'un bateau que
nous allons envoyer en Méditerranée. L'objectif est de pouvoir
maintenir les lignes de communication, c-a-d veiller à la liberté
de navigation". Pourquoi le journaliste ne lui pose-t-il pas une objection
évidente:
comment l'Irak dont la frontière
la plus proche est à des centaines de km de la Méditérranée,
pourrait-il y placer des mines et menacer la sécurité de
navigation?
Mais peut-on dire à un
ministre que sa justification est ridicule?
"Ce que nous ne montrons pas, n'existe pas"
Ces sources institutionnelles sont tellement unies
sur l'essentiel qu'on pourrait parler d'un "système de la source
unique", un régime totalitaire bien plus efficace.
N'est-ce
pas Monsieur Ted Turner, patron de CNN, qui affirme:
"Si nous ne mentionnons
pas un événement, il ne s'est pas produit."