"Atrocités" irakiennes au Koweït

 300 couveuses "volées"

Ce qu'on vous a dit:

"On rapporte la mort de 300 bébés prématurés après que des soldats irakiens les eurent retirés des couveuses qui ont alors été volées." Ce rapport diffusé en août 90 par Amnesty International cite un médecin anonyme du Croissant-Rouge koweïtien qui déclare que 312 bébés prématurés sont décédés au Complexe médical al-Sabah après qu'on les eut retirés de leurs couveuses. Lui-même en a enterré 72 au cimetière al-Rigga. Amnesty cite également une jeune infirmière koweïtienne de 15 ans, affirmant avoir vu des soldats irakiens armés entrer dans une chambre où 15 bébés reposaient dans des couveuses: "Ils ont retiré les bébés des couveuses et les ont laissés mourir sur le sol. C'était horrible."

Ce témoignage, aux chiffres aussi "précis" que les 4 630 victimes du charnier de Timisoara, a été abondamment repris dans la presse occidentale. Bien qu'il fût contredit par d'autres médecins du même hôpital et fortement mis en doute par Middle East Watch (autre organisation de défense des droits de l'homme à tendance également pro-occidentale).
Ayant lu ce rapport d'Amnesty, dont le fait évoqué ci-dessus était le plus marquant, George Bush fit au Time le commentaire suivant: "Je vous demande d'en lire la moitié. Si vous ne pouvez en supporter la moitié, lisez-en un quart. C'est tellement impressionnant que vous ne pourrez le croire".
Effectivement, il ne fallait pas le croire...
Ajoutant que ce rapport "est l'une des choses qui me guident", Bush concluait que les sanctions économiques ne suffisaient plus et qu'il était urgent de passer à la guerre. En un seul mois, six déclarations de Bush se réfèreront aux bébés arrachés de leurs couveuses. Le président américain ne craindra pas de parler de "génocide" et d'atrocités "pratiquement sans précédent dans l'histoire". Il y fera allusion dans son discours du 17/01/91 au début des bombardements. Aux USA, cette affaire sera abondamment utilisée pour clouer le bec aux pacifistes. Sept Congressistes reconnaîtront avoir voté pour la guerre sur base de ce témoignage. En écho français, Mittérrand confirmera: "L'Irak occupe le Koweït, tout cela assorti de mille violences." Sans s'attirer aucune remarque ni des journalistes l'interviewant, ni du journal Le Monde qui reproduira cette interview sans commentaire.

La vérité

Trois mois plus tard, Amnesty devra reconnaître que l'affaire des couveuses avait été inventée de toutes pièces... Ce que confirmera, lors de la libération du Koweït, le médecin-chef militaire français Guy Angel après enquête auprès des responsables de l'hôpital.
Mais les faits rapportés n'auraient-ils pas dû, dès le départ, susciter quelques questions d'élémentaire bon sens? Etait-il vraisemblable qu'un hôpital possède autant de couveuses? Dans nos pays, les grandes maternités en possèdent au maximum quelques dizaines. Etait-il plausible que médecins et infirmières aient laissé ces enfants mourir de froid sur le sol au lieu de tenter de les sauver?
Dans toute école de journalisme, on apprend à se méfier d'un témoignage unique, surtout anonyme.
Un an plus tard, on apprenait effectivement que l'infirmière en question était la fille de l'ambassadeur du Koweït à Washington et que tout le témoignage avait été fabriqué par une agence US de relations publiques...

Source: Time, 31/12/90, Z magazine, mars 91, Interview de Mittérrand par TF1, A2 et La Cinq, citée dans Le Monde, 22/01/91, L'Humanité, 11/03/91

Toutes les atrocités ne sont pas bonnes à dire

Après la libération du Koweït, les Palestiniens y vivant ont été soumis à une répression très forte. Le 3 mars 91, l'envoyé spécial du Monde "ne constate rien qui ressemble à un début d'épuration ou de réglement de comptes". Pourtant, divers témoins ont indiqué que la "chasse" aux Palestiniens a commencé très rapidement. Par exemple...
Un reporter photographe français a vu cinq Palestiniens "placardés contre un mur, les bras en croix. Ils ont été littéralement lapidés". Source: Le journal L'Humanité, le 06/03/91.
"Environ 300 Palestiniens ont été assassinés durant la première semaine après la libération, beaucoup durant les 24 heures avant que la coalition n'assure la sécurité dans la ville, selon Amnesty International. Plusieurs charniers contenant des dizaines de cadavres ont été repérés dans le cimetière al-Riquaa de la capitale, selon les rapports publiés ou radiodiffusés." Cité dans San Francisco Examiner, le 21/07/91.
Cette répression anti-palestinienne a été dénoncée par Amnesty International. Les autorités koweïtiennes ont reconnu plusieurs massacres et une partie des médias occidentaux a critiqué ces escadrons de la mort koweïtiens. Mais rien de commun avec l'ampleur de la "campagne" qui avait dénoncé les "atrocités irakiennes". Et quand Robert Fisk, célèbre journaliste de l'Independent anglais, révéla en s'appuyant sur des sources officielles américaines qu'un fils et un neveu du souverain du Koweït faisaient partie de ces escadrons de la mort, le reste des médias européens étouffa discrètement le scandale.

Tortures barbares contre les Palestiniens

Le Palestinien Taher Abdallah habitait au Koweït, où il fut arrêté après le retrait des troupes irakiennes. Il a témoigné à Bruxelles, lors de la session de la Commission d'enquête. Son récit des tortures affreuses infligées dans les prisons koweïtiennes jette une lumière crue sur la "démocratie" et la "liberté" sur lesquelles se base le Nouvel Ordre Mondial de Bush...

Je me limiterai à divulguer les faits de tortures dont j'ai été témoin et d'autres que j'ai pu vérifier avec les détenus eux-mêmes ou avec leurs familles.
Un détenu a été torturé et frappé dans le quartier de Selwa pendant 20 jours. On lui donnait des coups de pieds à la tête comme s'il s'agissait d'un ballon de football.
Un détenu pris du coeur est décédé sous la torture.
Un détenu est mort parce qu'on lui a foré un trou dans la tête.
Un détenu, ancien journaliste, a été fusillé et sa famille a retrouvé son corps avec l'aide du gardien du cimetière.
Un détenu est paralysé parce qu'on lui a brisé la colonne vertébrale.
Un médecin dont une jambe était paralysée a succombé sous la torture.
Quatre jeunes gens de la même maison ont eu les pieds brisés et on leur a arraché la peau du dos avec un grattoir à poisson.
Un détenu a été brûlé sur tout le corps avec des cigarettes et on lui a arraché des lambeaux de chair avec un coupe-ongle. Je l'ai vu il y a quelques jours à Amman, après son expulsion du Koweït.
Un jeune homme est décédé après qu'on lui soit sauté d'une table sur son corps, lui défonçant ainsi le thorax.
Deux jeunes filles ont été kidnappées à proximité de l'école El Hariri, elles ont été violées.
Une jeune fille, que je connais et dont le père a été enlevé, a reçu le message suivant: si tu veux qu'on libère ton père, viens et amène ta soeur pour qu'on passe la nuit ensemble.
Des dizaines de jeunes que je connais ont été arrêtés, torturés, et ils ont eu les membres brisés.
Un jeune de 14 ans du quartier de Khettan a eu les deux mains brisées.
Un officier koweïtien appelé Faiçal, du quartier d'Hawali, ne fait rien d'autre qu'arrêter les jeunes et les tondre.
Une infirmière et ses deux fils ont été arrêtés parce qu'ils sont accusés d'avoir soigné des soldats irakiens.
Un homme et ses deux fils ont été torturés pendant trois mois, accusés de collaboration. Leur histoire se résume à avoir donné du thé à quelques soldats irakiens, auprès de chez eux. Le tribunal les a innocentés.
Mon fils, qui est étudiant dans le secondaire, a été enlevé de chez nous, il a été emmené à l'école de Djaberia où il a subi toutes sortes de sévices et tortures, sans qu'on ait aucune accusation contre lui.
Lorsqu'ils sont rentrés chez moi, ils ont pris tout ce qui leur tombait sous la main.
Ce que je viens de raconter ne constitue que le sommet de l'iceberg.

Démentez, démentez, qu'en restera-t-il?
"Occupation irakienne du Koweït = atrocités." Dans l'esprit du public occidental, les deux notions sont à jamais liées. Même si les accusations les plus spectaculaires se sont finalement effondrées, comme nous venons de le voir.Divers témoignages crédibles en évaluent le bilan à 700 victimes et la jugent relativement "correcte" sur de nombreux plans et en tout cas bien éloignée du torrent de barbaries, voire de l'enfer quotidien dont parlaient les médias. Cela pose une question: comment arrive-t-on à inculquer à l'opinion publique un sentiment aussi contraire aux faits?

Pendant des mois, nos médias ont été remplis de récits d'atrocités irakiennes. Surtout à certaines périodes: août 90 et fin février 91, lorsque se préparait la guerre dite "terrestre".
Atrocités? Après le scandale du faux charnier de Timisoara, après l'affaire du soi-disant "capitaine Karim" qui "révélait" au micro de Poivre d'Arvor de sanglants crimes attribués à Saddam Hussein sur la base de faits dont la moitié ne tenait pas debout, on aurait pu s'attendre à une certaine prudence des médias. Espoir naïf, nous l'avons vu.
La leçon tirée de Timisoara se limite à quelques précautions de style: "information non confirmée", "le témoin affirme que", voire l'emploi du conditionnel. Mais ni Le Monde ni Le Soir ne mettent le public en garde, en rappelant Timisoara, par exemple, ou en indiquant que "le gouvernement koweïtien en exil orchestre peut-être des récits exagérés d'horreurs dans un but politique"?
Aucun média ne relève que ces récits épouvantables proviennent uniquement de sources koweïtiennes, plus précisément de "résistants koweïtiens", alors que cette résistance fut pratiquement inexistante. Lorsque les démentis s'accumuleront, aucun ne rassemblera les diverses supercheries pour investiguer et déceler qui se cache derrière.

Il est pourtant connu qu'il existe dans les services secrets des équipes chargées de produire les informations "utiles". Produire étant exactement le mot qui convient. Question: Quels sont les spécialités des services de renseignements et des services secrets? Réponse: Le mensonge, la manipulation, la dissimulation et la désinformation,  ils sont maîtres en la matière!
(Cité par Emmanuel Xedah, C.A.R.L.)
L'histoire des guerres, des coups d'Etat et des révolutions abonde en cas de désinformation organisée. Diffusée, à des heures tardives, sur plusieurs chaînes européennes, la série d'émissions télévisées Propaganda a montré par exemple que les actualités françaises avaient présenté des images bouleversantes d'atrocités imputées aux "rebelles" algériens et que, l'année suivante, les mêmes images s'étaient retrouvées insérées dans un montage sur les atrocités des nationalistes tunisiens! Timisoara ne fut rien de nouveau, mis à part l'impact décuplé par les moyens techniques modernes.
Fin 1990, un éditeur américain, Knightsbridge, publiait un livre à sensation: "Le viol du Koweït, l'histoire vraie des atrocités irakiennes contre une population civile." 200 000 exemplaires ont été envoyés aux soldats américains en Arabie. L'éditeur a toujours refusé de révéler qui finançait cette édition...

Pourquoi aucun des grands médias n'explique-t-il tout ceci au public? Parce qu'on ne souhaite pas que le public soit averti et vigilant? On entend parfois répondre: "C'est vrai, il y a des exagérations, voire des inventions, mais il reste de nombreuses autres accusations et dès lors à quoi bon chercher à tout démêler?" A quoi bon? A ne pas se faire rouler dans le style Timisoara. Il ne faut pas qu'on puisse fausser nos jugements sur une situation politique en inventant n'importe quelle histoire d'atrocités, en fabriquant sur mesure un ou plusieurs témoins de choc, qui disparaîtront peu après, mission accomplie? Il ne s'agit pas de tomber dans un cynisme blasé, "dans toutes les guerres, il y a des atrocités", mais de refuser l'intoxication et le bourrage de crâne.

Quelle est en effet la stratégie des services secrets en la matière?
Elle utilise notamment la méthode "mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose". Mais, répondra-t-on, à quoi bon si l'information est ensuite démentie? En réalité, le démenti a presque toujours beaucoup moins d'impact que l'information elle-même. Il survient, quand il survient, généralement trop tard. Le but est atteint, on a créé dans le public l'image souhaitée: tyran, terroriste ou agresseur, au choix. (Sur le rôle des services secrets dans la désinformation, on peut lire notamment: Jean Solbès, Médiabusiness, Paris, 1988 (chapitre 4), Médiamensonges, Bruxelles, 1990 (contribution d'Anne Maesschalk) et Andreas Freund, Journalisme et mésinformation, Paris, 1991.)
Une désinformation efficace ne se limite pas à utiliser des inventions. Elle combine des faits exacts, des faits interprétés de façon tendancieuse et des mensonges. Ainsi, tout ne pourra être frappé d'un démenti. Et devant celui-ci, le public, matraqué par la quantité d'accusations, réagira selon un schéma "on ne prête qu'aux riches" ou "il n'y a pas de fumée sans feu".
Alors que, parfois, il y a fumée sans feu. Ainsi, la "filière bulgare" de l'attentat contre Jean-Paul II était, c'est établi de façon incontestable, une fabrication de la CIA et elle fut, finalement, démentie par la majorité des médias sérieux. Mais qu'a retenu la majorité du public? La filière bulgare et non le démenti. Celui-ci est d'avance inefficace, d'autant que les médias dominants le formulent généralement tout petit et à la sauvette au lieu d'investiguer sérieusement.

Comment la presse a-t-elle travaillé sur les "atrocités" commises au Koweït? A-t-elle appliqué les critères minimum permettant de vérifier le sérieux d'une information? A-t-elle contrôlé les sources? A-t-elle indiqué que certaines informations étaient douteuses, voire carrément suspectes? A-t-elle rappelé des précédents de tromperies? Devant un bilan aussi négatif, les explications traditionnelles (manque de recul, autosuggestion collective) ne suffisent pas. Etant donné que les services secrets sont à l'origine de la plupart de ces rumeurs, il convient d'examiner leurs liens avec la presse...

"On était en guerre", dira-t-on. Effectivement, la désinformation, ce n'est pas de la mauvaise information, c'est une arme de guerre. Question: si nos services secrets produisent de fausses informations visant à tromper l'opinion publique occidentale, contre qui sont-ils donc en guerre?
 




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