Droit international: deux poids, deux mesures
D'abord, une comparaison...
1990: Violant le droit international, l'occupation irakienne du Koweït
provoque, selon les estimations les plus élevées, la mort
de 700 personnes. Sanction: une coalition de 29 pays rassemble un million
de soldats. Des bombardements ramènent, selon l'état-major
US lui-même, l'Irak "à l'ère pré-industrielle".
1975: Violant le droit international, l'Indonésie envahit le
Timor. Le nombre de victimes, selon des estimations non contestées,
est compris entre 100.000 et 200.000 (1/3 de la population).
L'occupation dure toujours. Sanction: aucune depuis 16 ans. L'Indonésie
reçoit des aides militaires américaines. L'Australie (membre
de la coalition du Golfe) co-exploite avec l'Indonésie le pétrole
timorais, et cela avec l'approbation de Washington...
Et dans les médias? Pour le Koweït, une couverture sans
précédent (jusqu'à dix pages par jour dans Le Soir
et Le Monde, à certains moments).
Pour le Timor, de temps en
temps une "brève"
qui ne rappelle jamais la responsabilité
des Etats-Unis et de l'Europe soutenant l'Indonésie...
Deux poids et deux mesures dans la politique occidentale. Parallèlement,
deux poids et deux mesures dans la presse. Le présent chapitre va
donc tenter de rééquilibrer quelque peu l'information en
soulignant des faits et points de vue occultés... Ce chapitre entend
se baser sur des faits que chacun peut vérifier.
Deux poids et deux mesures
La guerre étant menée au nom du "droit international", on aurait pu s'attendre à de nombreux articles expliquant en quoi consiste ce droit international, comment il est appliqué dans divers litiges similaires. Etant donné que des violations similaires du droit international, condamnées également par les Nations unies, restent impunies depuis des années, cette subite passion pour le droit international n'aurait-elle pas dû conduire à les examiner également? Tracer des parallèles aurait peut-être contribué à corriger d'autres injustices? Ou bien à éclairer les mobiles véritables des deux camps?
Ce ne fut pas le cas. Les articles sur le thème du droit international
dans le Golfe peuvent se compter sur les doigts d'une main. Ils se limitent
presque toujours à commenter les résolutions de l'ONU ou
à citer des déclarations officielles de Bush, Mitterrand
et autres autorités. Jamais, on n'organise un véritable débat
entre ceux qui pensent que la coalition défend le droit international
et ceux qui pensent que ce n'est qu'hypocrisie (voir plus bas, le
chapitre: Conversion suspecte).
Quand l'Afrique du Sud a violé d'innombrables résolutions
des Nations unies en maintenant un régime fondé sur le racisme,
en occupant illégalement pendant 40 ans la Namibie et en agressant
plusieurs voisins, provoquant selon les chiffres des Nations unies plus
de 1.500.000 décès, les Etats-Unis n'ont ni bombardé
Le Cap, ni imposé un embargo économique épuisant au
régime de l'apartheid. Au contraire, ils se sont opposés
à un tel embargo (qu'ils appliquent par contre depuis 30 ans contre
Cuba parce que son gouvernement leur déplaît).
Comme le dit très justement le juriste belge Jean Salmon, "aucun
ultimatum n'a été adressé dans le passé à
quiconque et on peut douter que les Etats-Unis utilisent demain leur armada
pour exiger qu'Israël quitte les territoires occupés indûment
en Cisjordanie, à Gaza, en Syrie et au Liban (par mercenaires interposés)
ou pour forcer le Maroc à quitter le Sahara occidental ou pour déloger
la Turquie de Chypre du Nord (...) Lorsque le droit n'est jamais appliqué,
son application soudaine apparaît comme un acte arbitraire. ("La
guerre du Golfe et le droit international", Centre de droit international
Université Libre de Bruxelles, 1991. Pourtant, Salmon n'est pas
suspect de complaisance vis-à-vis du régime irakien: "florilège
de violations des droits de l'homme et du droit international en général,
(...) répression de toute opposition interne et du peuple kurde
(...)".
Il faut reconnaître que Salmon a été interviewé plusieurs fois à la RTBF et une fois à RTL. Seulement, de telles interviews ont beau démontrer l'hypocrisie de ceux qui invoquent le droit international, la couverture médiatique n'en continue pas moins de répandre à longueur d'antenne et de pages la version officielle de "la guerre du droit". De tels interviews-entractes ne fonctionnent-ils pas comme un alibi, une soupape de sûreté?
Conversion suspecte
"O combien apparaît suspecte, en effet, cette conversion au droit
international des Etats-Unis qui ne s'en étaient guère jusqu'alors
embarrassés. Sans parler du Viêt-nam, on se souviendra des
interventions contre les régimes qui n'avaient pas l'heure de plaire,
au Guatemala, à Cuba, à Saint-Domingue, au Chili, au Nicaragua,
et plus récemment l'invasion de la Grenade, puis du Panama. On n'a
pas oublié non plus que les Etats-Unis ont bloqué par leur
veto au Conseil de sécurité pendant des années les
tentatives de sanctions contre la Rhodésie, contre le Portugal,
contre l'Afrique du Sud ou contre Israël.
Jean Salmon, juriste.
Cacher la dimension globale de l'impérialisme US
Non seulement les USA protègent un très grand nombre de
violations du droit international, mais en outre, ils sont le pays qui
en a commis le plus grand nombre. Très éclairante à
ce sujet: la longue liste de leurs interventions militaires à l'étranger.
Qu'ont dit les médias à ce sujet? A ceux qui hésitaient
à suivre la "guerre américaine", ils ont souvent asséné
l'argument "n'oubliez pas ce que les Américains ont fait pour nous
en 40-45".
Cet argument n'a jamais été replacé dans un cadre
historique sérieux. Pourtant, en constatant le caractère
très tardif de l'intervention US de 1943 (Hitler attaquait la Russie
depuis deux ans), certains historiens y avaient vu des mobiles très
intéressés. N'entrons pas dans ce débat historique
qui nous entraînerait trop loin. Faisons seulement remarquer
qu'en rappelant uniquement la participation des Etats-Unis à une
guerre antifasciste entièrement juste, on a occulté leurs
très nombreuses autres interventions militaires bien plus discutables.
La plupart des médias occidentaux présentent une constante:
jamais, ils ne donnent conscience à leurs lecteurs de la dimension
d'ensemble de l'impérialisme américain. Ne pas montrer à
quel point celui-ci détermine la vie économique, politique
et militaire de la plupart des pays. A chaque intervention militaire des
Etats-Unis, on avance des raisons spécifiques: "menace soviétique",
"menace chinoise", "menace intégriste", "sauver des vies américaines",
"combattre le trafic de drogue", "préserver les intérêts
vitaux de l'Occident", la liste est presque infinie. Mais en aiguisant
la mémoire du lecteur et en le rendant conscient du fait que les
Etats-Unis sont intervenus militairement une fois contre le nazisme et
182 fois contre des pays indépendants, ne risquerait-on
pas d'amener des questions sur le bien-fondé de tant d'interventions?
N'est-il pas normal de se demander si vraiment ceux qui ont si souvent
bafoué le droit, sont tout à coup pris de remords irrésistibles?
Veto à l'ONU
Voici, dans l'ordre, les pays membres du Conseil de sécurité qui ont exercé le plus souvent leur droit de veto entre 1970 et 1990 afin de barrer la route à des résolutions faisant appliquer le droit international... Il faut signaler que l'invasion soviétique de l'Afghanistan fut régulièrement condamnée mais que les Etats-Unis ont toujours refusé qu'on traite de leur guerre en Indochine...
1. Etats-Unis
60
2. Grande -Bretagne 26
3. France
11
4. URSS
8
Source: N. Chomsky, Deterring Democracy, New York, 1991.