La grande escroquerie chimique P. Sainath (Inde)
"Plus de vingt nations possèdent à présent des
armes chimiques ou sont capables d'en produire et ces armes horribles prennent
à présent place dans des conflits régionaux. Le monde
a vécu trop longtemps sous la menace de la guerre chimique. Alors,
agissons ensemble, à commencer d'aujourd'hui, pour débarasser
le monde de ce fléau."
George Bush, septembre 1980
Le Sénat américain était sous tension: pendant
dix-huit années, les Etats-Unis avaient interdit la production d'armes
chimiques. Et à présent, en 1985, le lobby des armes chimiques
avait réussi à créer une pression considérable
en faveur de la reprise d'une telle production. Après de longs et
passionnés discours, on votait pour décider si oui ou non
les Etats-Unis reprendraient la fabrication d'armes chimiques.
Le vote était serré. Ce qui laissait au président
du Sénat la possibilité de faire usage de son vote prépondérant.
Entre les mains d'un seul homme, se trouvait le pouvoir d'empêcher
un pas de géant vers une nouvelle génération d'armes
chimiques, une des formes les plus horribles de la guerre. Le président,
dont le nom était
George Herbert Walker Bush
,
vota en faveur des armes chimiques.
Se pouvait-il que ce fût le même George Bush qui, en 1980,
voulait que tous nous "agissions ensemble à commencer d'aujourd'hui"
pour supprimer les armes chimiques, le même George Bush qui proposait
à cet effet un traité à Genève, en 1984, le
même George Bush qui, depuis le 2 août, nous rappelle tous
les jours le sinistre palmarès de Saddam Hussein en ce qui concerne
l'usage des armes chimiques?
Oui, c'était
le même Bush.
Le dernier budget de la Défense sous Reagan
(dont Bush était le loyal vice-président), en 1988, allouait
des millions de dollars supplémentaires à la technologie
des armes chimiques et aux systèmes de lancement. La même
semaine, des diplomates US assistaient à la Conférence de
Paris qui recherchait des "contrôles plus stricts" sur les armes
chimiques. Ils oublièrent de mentionner que leur vice-président
était personnellement intervenu pour faire approuver le système
Big
Eye, de l'US Air Force
, servant à lancer
les nouvelles armes chimiques binaires. Les fonds accordés par les
USA à ces systèmes sont passés de
9,7
millions de dollars en 1988 à 60,7 millions de dollars en 1991.
Les médias américains et européens
n'ont rappelé aucune partie de cette histoire lorsque Bush exhorta
les croyants à joindre la quatrième croisade contre le grand
méchant utilisateur d'armes chimiques: Saddam Hussein.
L'épouvantail
On a trompé l'opinion mondiale à
une grande échelle, et particulièrement les peuples des nations
occidentales participant à la coalition dirigée par les USA,
afin de justifier la constitution et l'usage d'une force énorme.
A la fin des hostilités militaires, aucune arme chimique n'avait
été employée par l'Irak.
L'utilisation par les médias occidentaux
de l'épouvantail des armes chimiques fut remarquable. dans une première
phase et jusqu'au milieu de la crise, disons d'août à novembre,
le thème revenait à chaque couverture. N'étions-nous
pas tous obsédés par ces images d'hommes affublés
de masques effrayants? Dans la seconde phase, les médias baissèrent
le ton. Pourquoi?
Il fallait d'abord créer l'hystérie
justifiant la mise en place et la démonstration de force massive.
"Allons-y et achevons ce fou avant qu'il puisse
se servir de ces armes." Mais, à mesure que la phase militaire approchait,
il devint nécessaire de diminuer un peu l'effet afin de ne pas terroriser
le public ni démoraliser les troupes. L'analyse du Time et du Newsweek,
ou de l'International Herald Tribune confirme clairement ceci (...)
Pourquoi cette exploitation de l'épouvantail
chimique? Parce que les Etats-Unis avaient décidé d'utiliser
des bombes Air-Essence et le napalm, et qu'ils avaient besoin de créer
l'excuse psychologique. Du moment qu'on rappelait aux gens les armes chimiques
de Saddam, tout devenait permis. Ce qui ressort nettement, ce sont les
liens étroits de ces journaux (Time, Newsweek, International Herald
Tribune) avec la machine de propagande du Pentagone, au point d'en faire
presque partie.
Après les hostilités, la vérité
arrive à la surface. L'Irak n'avait aucune capacité de recourir
aux obus chimiques. Lorsqu'il les utilisait (avec la bénédiction
et la technologie de l'Occident) contre les Iraniens et les Kurdes, les
Irakiens lançaient ces armes en les jetant par tonneaux à
partir d'avions. Ils n'avaient aucun moyen de les employer avec des missiles,
des obus d'artilleries ou des mines.
Puisque, dès le premier jour de guerre,
l'aviation irakienne n'était plus un acteur réel de cette
guerre, cela veut dire que Washington savait très bien que l'Irak
n'était pas en position de lancer une attaque chimique, à
supposer que Saddam l'ait voulu.
En fait, un numéro récent du Jane's
Defence Weekly (magazine anglais spécialisé dans les questions
militaires) se demande si les Irakiens ont jamais eu la technologie nécessaire
pour se servir d'obus chimiques. Et le major-général Ahmed
Abdel Halim, du Centre National d'Etudes du Moyen-Orient situé au
Caire (l'Egypte était un partenaire loyal de l'alliance) affirme
que non seulement l'Irak n'avait pas d'ogives d'armes chimiques pour ses
missiles Scuds, mais que les Etats-Unis "étaient parfaitement au
courant de ce fait".
Le très conservateur Sunday Telegraph
de Londres confirme que "jusqu'à présent (plusieurs jours
après la fin des hostilités), les forces de la coalition
n'ont pas trouvé de missiles ou d'obus avec des ogives chimiques...
Les rapports précédents concernant des mines chimiques se
sont révélés non fondés".
Ainsi, les Irakiens n'ont jamais utilisé
les armes chimiques contre les troupes coalisées, mais les USA ont
certainement utilisé le napalm et les bombes Air-Essence contre
les Irakiens, tuant ou mutilant d'innombrables civils à cette occasion.
L'Histoire, connais pas!
Dès le mois d'août, la "menace chimique"
irakienne tient une place importante dans Le Soir et Le Monde. Mais tous
deux sont amnésiques sur le plan historique.
Le 19/08/90, Le Monde présente un "historique"
de l'utilisation des armes chimiques. Curieux historique: le seul pays
cité comme ayant utilisé des armes chimiques, c'est l'Allemagne
en 1915.
On parle encore des recherches menées
en 1936 par les Allemands, en 1952 par les Anglais, et c'est tout. Pas
un mot sur le fait que les Etats-Unis eux-mêmes ont été
"un des plus scandaleux utilisateurs d'armes chimiques de l'histoire".
(Source:
Tony Russo, un des auteurs des "Pentagon Papers", qui révélèrent
les crimes de guerre US au Viêt-nam. Voir aussi "Les massacres, la
guerre chimique en Asie du Sud-Est", ouvrage collectif, Maspero, 1970).
Il est vrai qu'à l'époque, le président
Nixon affirmait, lui aussi, "rechercher la paix". Il est vrai que l'usage
des défoliants à base de dioxine fut, là aussi, qualifié
de "tactique de guerre" par le secrétaire d'Etat américain
Dean Rusk. Manifestement, c'est cette version qu'a retenue Le Monde...
Le Soir également blanchit les Etats-Unis
en ne parlant que de la "menace sérieuse" des armes chimiques irakiennes
(11/08/90). Nucléaire israélien, connais pas; arsenal chimique
américain non plus...
Churchill, Mussolini, Viêt-nam...
Voici quelques éléments historiques
pour compléter le dossier de la guerre chimique. Il faut remarquer
qu'aucune nation du tiers monde n'a jamais utilisé des armes chimiques
contre une nation occidentale; historiquement, ce fut toujours l'inverse.
L'utilisation des armes chimiques à grande
échelle a été inaugurée par les Européens
durant la Première Guerre mondiale. Le phosgène et le gaz
moutarde aveuglaient et brûlaient les yeux, le nez, la peau et les
poumons, provoquant d'énormes ampoules à la fois à
l'intérieur et à la surface du corps, entraînant la
mort des victimes en les noyant littéralement dans leurs liquides
corporels.
L'horreur soulevée par ces pratiques mena
à la Convention de Genève (1925) par laquelle les nations
s'engageaient à ne pas y recourir en premier lieu. Personne n'accepta
la renonciation générale et simultanée aux armes chimiques.
Winston Churchill plaidait pour l'utilisation des gaz chimiques contre
"des tribus non civilisées" comme les Arabes, y compris le peuple
irakien. "Je ne comprends pas ces réticences à l'emploi du
gaz. Je suis fortement en faveur de l'utilisation du gaz toxique contre
des tribus barbares... L'effet moral sera bon. On diffusera une terreur
vivace."
En 1936, Mussolini viola la Convention de Genève
en utilisant d'énormes quantité de gaz moutarde contre les
populations civiles sans défenses d'Ethiopie. Mais personne ne protesta.
Après tout, les victimes n'étaient que des tribus non civilisées.
(...)
1961 vit l'usage suivant des armes chimiques par
les USA au Viêt-nam. (Un seul des médias qui couvrirent les
atrocités de Saddam, vous a-t-il jamais rappelé ceci?) Les
Etats-Unis déversèrent systématiquement cinquante
millions de tonnes d'herbicides dans la jungle et les plantations afin
de les détruire. L'effet fut dévastateur parmi les populations
civiles, entraînant des déformations graves et des dommages
génétiques à long termes. Ceux qui hurlèrent
à propos de l'Irak, ne se sont guère fait entendre à
l'époque bien que ceci ait constitué une violation de la
Convention de Genève.
L'agent Orange, le mélange d'herbicide
toxique et de défoliant utilisé par l'armée US, était
si dangereux que même les militaires américains qui le déversaient
en furent affectés, certains très gravement. Des années
plus tard, beaucoup de ces soldats reçurent des compensations. Personne
ne parla jamais de compensation pour les vraies victimes, les Vietnamiens.
Au Viêt-nam, les Américains utilisèrent
très largement le napalm, essence gelifiée par du palmitate
d'aluminium, mélange calculé afin de provoquer d'intenses
brûlures. Femmes et enfants n'étaient pas épargnés.
Le napalm fut encore utilisé en Irak par les alliés. Il n'y
eut aucune protestation à ce sujet.