Hill & Knowlton et autres "Public Relations"
Quand vous avez lu dans tous les journaux étrangers des aberrations
et des calomnies sur votre pays, vous vous dites que ce qu'on écrit
et que ce qu'on raconte sur d'autres pays doit être tout aussi faux."
Ernesto Cardenal, ex-ministre du Nicaragua
La bataille de l'information a pris tant d'importance dans la bataille
politique que les budgets des firmes de relations publiques ont explosé:
rien qu'aux Etats-Unis, en 1991, les 50 premières firmes de "relations
publiques" ont encaissé, 1,7 milliard de dollars, presque autant
que le budget total de la Tanzanie, pour vendre des pays comme le Koweït,
la Turquie, le Guatemala, Israël ou le Pérou.
Le numéro un, Hill & Knowlton, s'est rendu mondialement
célèbre en fabriquant le médiamensonge des couveuses
prétendument volées par les soldats irakiens à la
maternité de Koweït-City. Payé 10,8 millions de dollars
par le Koweït, H&K avait mis sur pied une des plus importantes
campagnes de relations publiques de tous les temps: "L'équipe H&K,
dirigée par Lauri Fitz-Pegado, ancien officier de l'agence d'information
des USA, organisa une journée d'information sur 20 campus universitaires,
une journée nationale de prière dans toutes les églises
du pays, la proclamation par 13 gouverneurs d'Etat d'une journée
nationale "Libérez le Koweït". H&K distribua des dizaines
de milliers d'autocollants et de t-shirts, des milliers de "paquets-médias"
(...) glorifiant la résistance et les hommes d'affaires du Koweït
et organisa des rencontres avec les éditorialistes de la presse.
Lew Allison, ex-producteur aux informations à CBS et NBC, créa
24 cassettes vidéo d'informations du Moyen-Orient." Cette campagne
de "relations publiques" permit de manipuler l'opinion publique US et bientôt
le Congrès vota la guerre. Pour 10 millions de dollars, une tyrannie
médiévale a pu s'acheter une image démocratique et
déclencher une guerre dévastatrice.
La supercherie des couveuses une fois démasquée, n'était-il
pas logique de se demander: quels autres pays sont "défendus" par
Hill & Knowlton (ou leurs collègues)? Notre information sur
la Turquie, le Pérou, le Maroc ou Israël est-elle truquée
de la même manière?
Mais aucun grand média ne lança
ses reporters sur cette enquête...
Le Center for Integrity de Washington a mené
cette enquête sous le titre éloquent
"The
torturer's lobby".
Conclusion: "Ces pays largement
critiqués pour violation des droits de l'homme, reçoivent
une assistance US et paient des lobbyistes de Washington afin de faire
pression sur le Congrès pour qu'il augmente son aide: Turquie, Nigeria,
Maroc, Kenya, Philippines, Indonésie, Egypte, Israël (territoires
occupés), Guatemala et UNITA angolaise.
Tous
pratiquent la torture et d'autres atrocités, selon les groupes des
droits de l'homme ou le département d'Etat US, ou selon les deux."
Parmi les clients d'Hill & Knowlton: Turquie,
Pérou, Israël, Egypte, Indonésie.
Et
dans le temps le régime Duvalier d'Haïti.
Les manipulations talentueuses de H&K ne
sont pas limitées à la politique internationale. Ils ont
aussi orchestré des campagnes pour l'Eglise catholique, pour la
secte dénommée "Eglise de scientologie", pour l'American
Petroleum Institute et aussi pour gérer l'accident nucléaire
de Three Mile Island's.
L'industrie du mensonge
"Dans les années 1930, Edward Bernays,
le "père des relations publiques (PR)", persuada les sociétés
américaines qu'ils était plus efficace de changer l'opinion
publique grâce aux techniques PR, au sujet des mouvements sociaux
trouble-fête comme les organisations socialistes ou les syndicats
que de louer des casseurs pour taper sur les gens. Depuis lors, les PR
ont évolué jusqu'à devenir un art toujours plus raffiné
de la manipulation au service de n'importe qui dispose de larges fonds
pour les payer.
Les firmes de PR manipulent l'opinion publique,
les parlementaires et la politique gouvernementale par des campagnes médiatiques,
des auditions parlementaires et du lobbying. Elles ont les compétences
et les fonds nécessaires pour mener des recherches sophistiquées
au profit de leurs clients et, en utilisant des informations confidentielles,
de les conseillers en matière de décisions politiques. Elles
sont en mesure de vendre à leurs clients l'accès et les recommandations
auprès des responsables gouvernementaux et aussi ceux des services
de renseignements. Robert Keith Gray, directeur du bureau de Washington
de Hill & Knowlton durant trois décades, se vantait de fixer
les grandes décisions personnellement avec le directeur de la CIA,
William Casey, qu'il considérait comme un ami personnel proche.
Une des méthodes les plus importantes
par lesquelles les firmes de relations publiques influencent nos opinions
consiste à distribuer massivement des communiqués de presses
aux journaux et aux rédactions télévisées."
Source: Johan Carlisle, Public Relationships,
revue Covert Action (USA), printemps 93.
Une image médiatique s'achète.
Voici le tarif des "Public relations"...
(en millions $)
Aide US
Budget PR dépensé
Principal agent
Honoraires
reçue en 1991 aux
USA 1991-1992
P.R.
Turquie
804
3,8
Hill & Knowlton
1,2
Israël
3.650
1,6
Hill & Knowlton
1,05
Maroc
136
1,4
Neill & Co
0,7
Indonésie
98
6,8
H & K
3,05
Philippines
558
0,7
Sawyer Miller Group
0,35
Colombie
93
3,2
Sawyer Miller Group
3,1
Guatemala
90
0,4
Patton, Boggs & Blow
0,2
Pérou
183
0,08
Hill & Knowlton
0,02
Angola (Unita)
7,4
1,9
Hill & Knowlton
0,7
Koweït
7,400
12,5
Hill & Knowlton
5,8
Main dans la main avec la CIA, les
médias...
La collaboration entre Hill & Knowlton, la
CIA et les médias forme un parfait triangle de Washington. Ecoutez
Robert Crowley, un ex-responsable de la CIA: "Les bureaux d'outremer de
Hill & Knowlton constituent une "couverture" idéale pour la
CIA qui ne cesse de d'étendre. A la différence d'autres métiers
de couverture, être un spécialiste des relations publiques
n'exige pas une formation technique pour les officiers de la CIA." Laquelle,
reconnaît Crowley, se sert de ses liens avec H&K "pour faire
passer des communiqués de presse et mettre sur pied des contacts
médias qui répercutent ses positions... Les employés
de H&K, que ce soit au petit bureau de Washington ou ailleurs, ont
distribué ce matériel via les contacts de la CIA dans les
médias des Etats-Unis".
Susan Trento, qui publie cet aveu, ajoute: "Des
reporters ont été payés par la CIA, parfois à
l'insu de leurs employeurs des médias, afin que le matériel
soit publié. Mais d'autres sociétés d'information
ont ordonné à leurs employés de collaborer avec la
CIA. (...) Celle-ci dispose de reporters et d'éditorialistes domestiqués
dans de nombreux journaux et médias audiovisuels à travers
tout le pays. Pour éviter des relations directes avec les médias,
la CIA a recruté des personnes travaillant dans des sociétés
de relations publiques comme H&K pour servir d'intermédiaires
pour ce qu'elle souhaite diffuser."
... et la Maison-Blanche
Les malversations des firmes de relations publiques
sont allées si loin que le candidat Clinton avait dû promettre
d'établir des cloisonnements entre ce business et son gouvernement.
On se demande comment le président Clinton s'y prendra. Puisque
Ron Brown, son secrétaire au Commerce, fut lobbyiste et juriste
pour le régime haïtien de Doc Duvalier, que Paster, son directeur
des affaires intergouvernementales à la Maison-Blanche, est un ancien
directeur de l'agence de Washington de...
Hill & Knowlton et que le directeur des relations
publiques pour l'inauguration de la présidence n'était autre
que Lauri Fitz-Pegado, qui avait géré la guerre du Golfe
pour le compte de... Hill & Knowlton toujours. La porte est d'ailleurs
ouverte dans les deux sens puisque Thomas Hoog, qui fut attaché
à l'équipe de transition de Clinton, a remplacé Paster
à la tête du bureau de Washington de...
Hill & Knowlton!
La
Maison-Blanche est donc bien au centre du fameux triangle qui se charge
de nous "informer"...
Qui "vend" la Turquie? Hill & Knowlton!
Le Département d'Etat US a reconnu "crédibles"
des centaines de rapports établissant l'usage de "tortures à
l'eau froide à haute pression, chocs électriques, coups portés
aux parties génitales et suspension par les bras" en Turquie, mais
ce pays continue à bénéficier de l'amitié et
de l'aide US.
Pour la seule année 1991, la Turquie "a
reçu plus de 800 millions de dollars d'aide US, et a dépensé
plus de 3,8 millions à payer des lobbyistes de Washington pour maintenir
ce flux d'argent.
Qui défend les intérêts du
régime turc à Washington?
Hill
& Knowlton
, les faussaires des couveuses.
H&K
a bien besoin de tous ses talents car le régime militaire turc déploie
un véritable terrorisme d'Etat pour briser la résistance
kurde. En dix ans: un million d'arrestations, 17.000 condamnations par
des tribunaux d'exception, 850 villages rasés, 967 assassinats par
les escadrons de la mort. En six mois de 1993, 33 personnes mortes sous
la torture dans les casernes de la police et de la gendarmerie.
Source:
Avocats sans Frontières, Troisième mission au Kurdistan;
Rapport spécial "Liberté des médias" de la Fédération
internationale des Journalistes, 14/03/1993.
Les escadrons de la mort turcs opèrent
aussi à l'étranger. Le 28 octobre 1993, le journal progouvernemental
Hurriyet publiait la photo de huit cadres kurdes importants en précisant
que le Conseil national de sécurité avait décidé
d'envoyer des unités spéciales à l'étranger
pour les éliminer. Deux de ces cadres travaillent en France et en
Allemagne.
Malgré ces crimes effroyables, la Turquie
continue de bénéficier d'une image "modérée".
Grâce à Hill & Knowlton. Mais aussi parce que les grands
médias occidentaux ferment les yeux.
La
Turquie a joué un rôle précieux dans l'encerclement
de l'Irak et pourrait servir de gendarme régional à l'égard
de certaines ex-républiques soviétiques, voire dans les Balkans...
Pour toutes ces raisons, dans nos médias,
les Kurdes d'Irak sont des victimes que l'on plaint mais les Kurdes de
Turquie sont des terroristes.