Qui a inventé la "4ème armée du monde"?

"L'armée irakienne est la quatrième du monde", avait déclaré le ministre américain de la Défense, Dick Cheney, suivi par le général Schwarzkopf. C'était faux, c'était stupide, les services de renseignements américains le savaient, les experts le savaient, les officiels le savaient. Tout le monde savait sauf l'opinion. Les médias l'ont à ce point répété durant des mois que la question "quelle est la quatrième armée du monde?" aurait été jugée trop simple pour n'importe quel concours télévisé.
Voilà le pouvoir des médias.
Pourquoi ce mensonge a-t-il connu une telle carrière, un tel retentissement mondial? Parce que c'était un mensonge "nécessaire". Citons le colonel français Dufour: "Les services de renseignements américains étaient évidemment conscients. Mais la faiblesse considérable de l'armée irakienne n'était pas chose avouable... Pour qu'une guerre entre les immenses Etats-Unis et le petit Irak soit acceptable pour l'opinion internationale, il fallait que Saddam Hussein soit représenté comme un abominable dictateur, ce qu'il est assurément, et son armée comme une redoutable puissance, ce qui est manifestement faux. Les Etats-Unis ont estimé nécessaire de monter une entreprise de désinformation destinée à faire apparaître les Irakiens comme plus forts qu'ils ne l'étaient en réalité.
L'étonnant est que cette manoeuvre ait pu, en France, n'avoir été perçue que par de très rares observateurs."

Cette réflexion suscite une nouvelle question: la désinformation américaine a-t-elle trompé les journalistes eux-mêmes? Cette hypothèse semble une insulte à l'intelligence de la profession, car le mythe de la 4ème armée ne résiste pas à deux secondes de réflexion. Comment, en effet, cette armée irakienne qui, en huit années, n'avait pas réussi à vaincre l'Iran malgré le soutien considérable fourni par les USA, l'URSS, l'Europe et la majorité des pays arabes, cette armée d'un pays du tiers monde, lourdement endetté, et dont le matériel était démodé face à la coalition de 29 pays dont les plus puissants du monde, cette armée qui s'apprêtait à livrer la guerre de 1914-1918 contre les maîtres de la guerre moderne, comment a-t-elle pu être présentée comme une terrifiante menace par les médias?
Que la majorité des journalistes ne soient pas préparés à analyser sérieusement de telles questions, on veut bien l'admettre (ce thème sera abordé plus loin). Mais ne pouvant nous résoudre à croire à l'incapacité de toute la profession, il nous faut bien poser la question autrement: y a-t-il eu intoxication délibérée?
Comment expliquer autrement ces six mois de "campagne" médiatique, il faut bien utiliser ce terme, six mois ressassant quotidiennement cinq thèmes combinés, tous faux: quatrième armée du monde, une extraordinaire ligne de fortifications entourant le Koweït, une armée de terroristes irakiens prête à frapper partout dans le monde, Saddam Hussein à deux doigts de posséder la bombe nucléaire et enfin la menace chimique terrifiante... Cette accumulation d'éléments, choisis pour frapper l'inconscient collectif, même par des moyens irrationnels, caractérise les campagnes de propagande mises sur pied par les services de désinformation et on les retrouve dans les campagnes visant d'autres pays "ennemis". Cette seule accumulation devrait déjà mettre la puce à l'oreille des journalistes qui se veulent critiques...

Les Américains savaient
"Par leurs services de renseignements les militaires américains savaient que les troupes irakiennes terrestres étaient au nombre de 350.000 et non 540.000 comme régulièrement annoncé par les médias. Ils savaient également que de nombreuses unités étaient peu équipées, et que dès la première phase de la préparation, l'Irak avait de gros problèmes quant au moral et aux désertions.
De plus, ils savaient que les forces alliées ne rencontreraient pas de grands problèmes, en traversant les champs de mines, et que l'artillerie irakienne ne pouvait se vanter de sa précision. Dès lors, ils étaient probablement bien conscients que le risque de pertes parmis leurs propres soldats était fortement exagéré. Pourtant, la désinformation sur "le puissant appareil de guerre irakien" continua, sans doute pour éviter de mettre en cause la légitimité de la guerre terrestre."
Source: Rune Ottosen, communication au colloque d'Istanbul, IAMCR, juin 1991.

Dans quel but, ce mythe de la 4ème armée a-t-il été diffusé? Dans le but de justifier la brutalité de la "punition" qui allait être infligée à l'Irak. Comme nous l'avons montré, le but des Etats-Unis n'était pas l'évacuation du Koweït (la guerre n'était pas nécessaire pour cela), mais la destruction, la plus humiliante possible, de l'Irak. Pour cela, pour donner un avertissement à l'ensemble du tiers monde, il fallait que la punition soit terrible. L'opinion publique occidentale ne pouvait l'admettre que si au préalable on lui avait dépeint l'Irak comme un danger épouvantable. Deux mythes étaient nécessaires: premièrement, Saddam = Hitler; deuxièmement, cet Hitler ne saurait être effrayant, évidemment, qu'avec une armée effrayante elle aussi. Gonfler l'importance de l'ennemi justifie qu'on en tue un grand nombre et par les pires méthodes.

Pourquoi ce classement biscornu de "4ème armée"? Parce qu'elle compte un grand nombre d'effectifs? Ce n'est évidemment pas ainsi que l'on juge la force d'une armée. Sinon, la Chine et l'URSS auraient devancé les Etats-Unis. Non, ce concept, élaboré par les services de "communication" des Américains, remplit une fonction précise. En tennis, par exemple, un match entre le premier joueur mondial et le quatrième serait relativement équilibré et une surprise ne serait pas à exclure. Alors qu'en réalité, l'écart économique, financier et technologique entre les USA et un petit pays du tiers monde est tel que ce dernier n'a aucune chance, du moins dans un affrontement d'armées conventionnelles (à la différence d'une guérilla populaire).
En passant: pourquoi aucun de ces experts militaires invités en grandes pompes par les médias n'a-t-il répondu à la question "mais quelle est donc la troisième armée du monde"? Cette seule question aurait mis par terre tout le raisonnement. Il aurait bien fallu admettre que l'armée israélienne, équipée à grands frais par les USA, surpassait celle de l'Irak. Et alors où classer la France et l'Angleterre? Le raisonnement ne tenait donc pas debout.

Il est frappant de voir Le Monde commencer cette campagne très tôt. Dès le 3 août, il titre "L'armée irakienne: la plus puissante du monde arabe." Comment le démontre-t-il? En comparant les armées de l'Irak et du... Koweït! C'est aussi intelligent que de comparer l'ex-URSS non aux USA mais à la Suisse. Cinq jours plus tard, le quotidien français compare "l'équipement militaire des plus sophistiqués" de l'Irak avec l'armée de l'Arabie Saoudite.
Pour rendre crédible la thèse d'un Irak dominant largement ses voisins, Le Monde ne se risque jamais à le comparer avec les véritables puissances militaires de la région. Qu'indique en effet cette comparaison? Que "sur le papier au moins, l'Irak dispose d'une importante force armée, mais ni plus et parfois même moins importante que celle de ses principaux voisins. L'armée irakienne est tout aussi menaçante dans Le Soir qui titre: "Les bouchées doubles pour tuer" (27/08) ou "Le spectre de l'arme biologique" (02/01). Tout cela sans être très regardant sur la fiabilité des sources. Par exemple, ce titre du Monde du 26 août: "L'Irak continuerait de recevoir du matériel militaire dont des produits chimiques en provenance de Libye." D'où émane l'information? Uniquement de la présidence américaine. Est-ce au moins solidement étayé? Jugez-en: "La Maison-Blanche refuse toute précision sur la nature, la quantité et les moyens d'acheminement de ce matériel." Bref une information guère fiable, mais qui vaut quand même un titre et que Le Monde ne vérifiera auprès d'aucune autre source.

Certes, une fois sur dix, au mieux, Le Soir et Le Monde donnent la parole à des avis contraires. Ainsi, le 24 août 90, tous deux reflètent l'avis de "sources proches des services de renseignements britanniques, pour qui l'armée irakienne ne serait pas en aussi bonne condition qu'on l'avait d'abord cru", mais l'information fait à peine huit lignes dans Le Monde. Et dans Le Soir, elle est placée sous le titre "Les experts en stratégie divisés sur la puissance irakienne." Un article exceptionnellement "équilibré": trois experts non alarmistes, deux alarmistes.
L'exception sera de courte durée. Dès que les officiels US insisteront sur leur thèse de 4ème armée, Le Soir "oubliera" complètement ces experts "non alarmistes". Par exemple, il n'interviewera plus jamais le spécialiste américain Michael Klare, pourtant auteur d'un article remarquable et bien documenté dans Le Monde Diplomatique de janvier 91. Parce qu'il démontrait de façon convaincante qu'aux yeux des Américains, le Golfe est le "banc d'essai des guerres de demain"?

Bons et mauvais terroristes

En définitive, il n'y eut que des actes individuels isolés et peu importants. "L'armée terroriste" irakienne n'existait que dans les discours des services secrets et des médias. Mais la crainte du terrorisme irakien a été alimentée par des articles nombreux et alarmants. Par exemple, en janvier 91, Le Soir annonce des "menaces" ou attentats terroristes les 5, 11, 16, 17 (deux fois), 18, 19, 26 (deux fois), 28, et 30 janvier. En février, les 1, 4, 5 (deux fois), 6 (trois fois), 7, 8, 12, 15, (deux fois), 16 et 22 février. Quand les menaces ne se concrétisent pas, on dément rarement; en fait, à chaque fois la menace est "reportée": "Fausses alertes sans menace précise","L'Irak conserve son armée de terroristes", "Réseaux dormants en Europe et en Asie", "La vague terroristes est-elle lancée?" (cet article est basé sur un "attentat" à la base de Norfolk (USA) qui sera démenti deux jours plus tard), "L'offensive terroriste n'a pas encore eu lieu" et puis finalement, le 4 mars, Le Soir ne s'avouant jamais vaincu: "Il est très possible que le terrorisme frappe une fois la guerre finie"...
Pour décerner la palme de l'odieux, on hésite. revient-elle à ce gros titre qui barre toute la page 4 du Soir du 28 janvier: "Actions terroristes et cris pacifistes"? Un amalgame de bas étage mais toujours très efficace pour discréditer la contestation. Ou bien au commentaire ci-contre?

En matière de terrorisme, les médias se montrent généralement peu curieux sur les "preuves" avancées par les Américains. Même quand les représailles prennent une grande importance. Ainsi, le 14 avril 1986, les Etats-Unis bombardèrent les villes libyennes de Tripoli et Benghazi, tuant une centaine de personnes. La "justification" avait été avancée le jour même par Ronald Reagan: "Nous avons les preuves directes, précises, irréfutables, et Kadhafi le sait" de la responsabilité libyenne dans l'attentat terroriste commis neuf jours plus tôt dans une discothèque de Berlin-Ouest, qui fit deux tués: un soldat américain et un Turc.

Preuves irréfutables? D'après une dépêche d'Associated Press du même 14 avril, "des responsables américains et allemands affirmaient que la Libye était suspectée d'être impliquée dans le bombardement, peut-être via son ambassade à Berlin-Est". Les médias ne soulèveront pas cette contradiction entre "possible", "peut-être" et les "preuves irréfutables" de Reagan. Ils évoqueront encore moins la déclaration de Manfred Ganschow, chef de la police, qui à la tête d'une équipe de cent hommes chargés de l'enquête, constatera le 28 avril : "Je n'ai pas plus de preuve que la Libye soit liée à l'attentat que lorsque vous m'avez appelé deux jours après les faits. C'est-à-dire aucune preuves." Et d'ajouter que "l'affaire était hautement politique" et qu'il était extrêmement sceptique sur ce que les politiciens  en disaient.
Les "preuves" et les "certitudes" varient facilement selon les besoins politiques. Comme nous l'avons indiqué, les attentats à la bombe commis contre un Boeing à Lockerbie et contre un DC-10 français en 1989 avaient été attribué à la Syrie, voire à l'Iran (peut-être en représailles contre le bombardement d'un DC-10 par les Etats-Unis). Mais après la guerre du Golfe, la Syrie étant devenue une fidèle alliée et l'Iran redevenant respectable, la "certitude" se déplaça vers la Libye et des "preuves irréfutables" sortirent à nouveau des tiroirs. Pour justifier une nouvelle intervention militaire?

D'une manière générale, la couverture médiatique du terrorisme est également guidée par le principe "deux poids, deux mesures". Eux (les Palestinniens, les Libyens, etc.) ont des "terroristes"; "nous" n'avons que des opérations de "contre-terrorisme". Dans la presse occidentale, on ne décrira pas les actions terroristes menées par des services américains via leurs exilés cubains ou via d'autres couvertures. On ne rappellera pas le passé terroriste du premier ministre israélien Shamir ni d'autres attentats sionistes anciens ou récents, y compris en Europe.

Combien de Gardes républicains?
Dans le psychodrame "Guerre du Golfe", on a fait jouer à cette fameuse Garde nationale républicaine un rôle similaire à celui de "la sinistre Securitate roumaine". Les fanatiques effrayants qui justifient l'emploi des grands moyens. Selon Le Soir (21/01), "C'est pour cette raison que, depuis le début du conflit, les bombardiers B-52 ne cessent de déverser des tapis de bombes sur les cinq divisions." (Et accessoirement, mais ça Le Soir ne le dit pas, sur des civils...)
Mais au fait combien d'effectifs comptait-elle, cette terrible Garde? Voici quelques chiffres...
45 000 (Le général français Buis, Le Nouvel Observateur, 28/02/91)
120 000 (Le Soir, 21/01/91)
150 000 (Le Soir, 25/02, Libération, 26/02)

Délibérément exagérée

Le journaliste américain John Ross (USA) était envoyé spécial à Mexico lors des préparatifs de la guerre: "On est écoeuré quand on songe, au souvenir de l'hystérie qui s'est emparée de Mexico à la veille de la guerre, que la menace militaire que Saddam Hussein présentait pour la paix mondiale était délibérément exagérée afin que l'Irak puisse être élevé au rang d'un adversaire approprié pour la mise en oeuvre de l'arsenal de destruction hautement sophistiqué qui allait sous peu envahir les petits écrans de l'Amérique latine. Si Saddam Hussein n'avait été diabolisé comme un nouveau Hitler et si la fausse estimation préméditée de la puissance militaire irakienne n'avait pas été transmise par les longs bras de CNN et de Televisa (chaîne de TV mexicaine), la guerre aurait été perçue en Amérique latine juste comme une autre intervention yankee brutale contre une nation souveraine du Sud."

La bombe: seuls nos amis peuvent l'avoir

Bien que ce soient les Etats-Unis qui ont "envisagé" d'utiliser l'arme nucléaire contre l'Irak (le Sénat en a discuté pendant trois jours et le vice-président Dan Quayle "n'excluait pas" son usage), les médias ont centré leurs projecteurs sur la menace nucléaire irakienne. Certains journaux à sensation ont même fait comme si l'Irak possédait déjà la bombe. L'International Herald Tribune n'hésitera pas à titrer, le 25 septembre 91, "Irak is rebuilding nuclear capacity": L'Irak reconstruit son potentiel nucléaire. Comme s'il y en avait jamais eu un!
Bombe irakienne? Un débat complètement faussé à la base car ces mêmes médias ont "oublié" de rappeler qu'Israël possédait déjà la bombe atomique: plus de cent têtes nucléaires. Ils n'ont jamais expliqué que si l'Irak s'était toujours soumis aux inspections de l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique (AIEA), Israël, lui, refusait et refuse toute inspection du même organisme ou toute signature d'un texte limitant l'usage des armes nucléaires.
2 700 personnes travaillent à Dimona, le site nucléaire d'Israël. L'uranium provient de France, d'Afrique du Sud, de Belgique, de Centrafrique, du Gabon et du Niger. Les fusées porteuses pourraient atteindre 1 500 ou 1 700 km. Dimona a été construit avec la collaboration des Français dans les années 50 et 60 et la coopération des présidents américains successifs. Recemment encore, le président Bush a décidé qu'il ne fallait prendre aucune sanction contre Israël pour sa collaboration nucléaire de longue date avec le régime sud-africain.... (sans-commentaires....)
A voir sur ce site l'article: "Comment Washington a piégé les ordinnateurs du Monde entier!" (Le fameux logiciel: PROMIS, ca vaut le détour!).
Selon le récent livre de Seymour Hersh, Israël a même déclenché l'état d'alerte maximum à trois reprises (deux fois en 1973 durant la guerre du Kippour, une fois au début 1991). Pour cibler ses objectifs, Israël se base sur des photos-satellites communiquées par les Américains. Notamment pour frapper un réacteur civil irakien en 1981. La réaction du président Reagan à ce raid aurait été:
"Il faut que jeunesse se passe!"
Pour maintenir le silence, les services secrets israéliens allèrent jusqu'à kidnapper, en Europe même, un technicien israélien, Mordechaï Vanunu, qui s'apprêtait à révéler les secrets de cette production.
Dénoncé par le patron de presse Robert Maxwell, Vanunu fut emmené en Israël et condamné à 18 ans de prison. (Robert Maxwell, lui aussi cité et apparement bien mêlé dans l'affaire PROMIS, j'oubliais, il serait "tombé" du pont d'un paquebot lors d'une croisière et son corps perdu en mer...)
Tout cela est essentiel pour comprendre le rapport de forces régional, les médias dominants oublient de le rappeler. Quand Le Monde parle des "dangers de la prolifération nucléaire", pour lui, ces dangers proviennent seulement d'Irak: "Sans l'Agence Internationale de l'Energie Atomique" (...), Saddam Hussein disposerait peut-être déjà de l'arme nucléaire." (Le Monde, 24/08/90)
Pas un mot sur le fait qu'Israël en dispose depuis belle lurette. En outre, les médias n'ont jamais rappelé qu'en avril 1990, Saddam Hussein proposait à cinq sénateurs américains d'interdire toutes les armes chimiques, nucléaires et bactériologiques dans toute la région du Moyen-Orient. Bush jugea cette proposition inacceptable pour Israël. Il faut dire que la législation américaine interdit d'aider un pays qui développe un programme nucléaire secret.
La question de la "menace nucléaire irakienne" est donc mal posée. Cependant il est très instructif d'examiner la façon dont les médias l'ont traitée presque chaque jour. Cette couverture suscite des questions que l'on devrait poser chaque fois qu'on est en présence d'une campagne médiatique: comment se fait-il qu'on en parle quotidiennement? Quelle source alimente cette campagne en "information"? Quelle attitude la presse adopte-t-elle vis-à-vis de cette source? Indique-t-elle ses intérêts?
Un critère décisif: oui ou non écarte-t-on les informations qui vont dans un sens contraire à la thèse de la campagne? Si oui, on peut déduire de toutes ces constatations que cette campagne ne recherche pas la vérité mais un effet de propagande. On ferait mieux de se méfier systématiquement des "informations" amenées par cette campagne. La recette en est généralement: un peu de vrai, beaucoup de faux, une mise en perspective tendancieuse qui gonfle les effets pour faire passer une autre thèse bien cachée au départ.

Qui avait intérêt à ce qu'on parle du nucléaire irakien? La réponse est claire: empêcher l'Irak d'avoir la bombe, et en laisser le monopole régional à Israël, était bien un des objectifs de guerre des Etats-Unis.
L'Irak préparait-il une bombe atomique et était-il proche de l'obtenir? Pour nous, lecteurs non-initiés, cette question est difficile, voire impossible à trancher. Par son caractère technique d'abord, mais surtout à cause de la désinformation qui s'est accumulée sur le sujet et qui rend la vérité toujours plus lointaine. L'indice qui nous semble décisif: les médias dominants ont écarté systématiquement toutes les informations contraires à leurs thèses. Il apparaît que les délais de fabrication ont été volontairement raccourcis pour faire peur au public.

Ce qu'on ne vous a pas dit:
"Il n'y a pas de preuve jusqu'ici que l'Irak ait commencé à travailler avec des centrifugeuses installées en cascade. D'autres pays, comme le Pakistan et le Brésil ont mis dix années au moins à perfectionner cette technologie." (Source: Dan Charles, New Scientist, 17/08/91).

"Les "Krytrons", ces détonateurs électroniques qui amenèrent les experts occidentaux à penser, à la veille de la guerre du Golfe, que Saddam Hussein était sur le point de fabriquer une bombe atomique, se révèlent n'être rien d'autre que de puissants condensateurs. (...)
Les cameramen de NBC se postèrent durant des semaines près des bureaux d'Euromac (la firme anglaise livrant ces condensateurs) et filmèrent tous ceux qui entraient et sortaient en espérant l'arrestation des deux principaux suspects. Leur arrestation devait apporter au monde la preuve définitive de la menace nucléaire de Saddam. (...) Les papiers d'expulsion de Daghir, le Britannique d'origine irakienne (accusé d'exportation frauduleuse des "Krytrons"), étaient déjà prêts. Mais il refusa tout simplement de se laisser embarquer sur l'avion et, citoyen britannique, exigea un procès en Angleterre. Finalement, ce procès a mené à la conclusion que les "Krytrons" dont on avait tant parlé, était en réalité des condensateurs qui n'étaient pas destinés à la mise à feu d'une bombe atomique, mais à la fabrication de caméras rapides. Ce fait, connu une semaine après l'arrestation, a été passé sous silence durant plus d'un an." (Source: NRC (quotidien hollandais), 27/06/91.

Terrorisme méconnu
En 1978, Shalom Cohen, sioniste, directeur du journal israélien Maodham Hozé, ancien député et correspondant du journal socialiste français Le Matin écrivait: "Le sionisme, n'ayant pu sauver les juifs d'Europe, se trouvait après la guerre mondiale sans objectif valable. Pour donner une justification morale à l'existence de leur pays, les sionistes cherchèrent à "sauver" d'autres juifs malgré eux. Les seuls possibles étaient ceux du monde arabe."
L'auteur affirmait que David Ben Gourion et ses hommes arrivèrent à une entente avec l'imam Yahya du Yémen, Nouri Saïd d'Irak et d'autres dirigeants arabes: "L'accord était simple: prenez les biens des juifs et donnez-nous leurs corps. Ni les uns ni les autres ne se souciaient de l'âme de ces juifs...
En Irak, cet accord se heurta à un obstacle: les juifs qui vivaient dans la prospérité ne voulaient pas émigrer. Les envoyés officiels d'Israël lancèrent alors des bombes sur des centres juifs, semant la panique et poussant la quasi-totalité des juifs d'Irak à partir pour Israël en moins d'un an."
Cité dans Jeune Afrique, 22 février 1978.

"La couverture médiatique des derniers développements a été déséquilibrée et a suivi les schémas précédents, tendant à exagérer les capacités irakiennes. (...) Un aspect important n'a pas été relaté dans les médias: le fait que les officiels de l'AIEA ont fortement réduit leurs estimations de la quantité d'uranium enrichie par l'Irak. Der Spiegel, suivi par des experts américains partisans de la non-prolifération et des experts du contrôle des exportations, a affirmé que les machines-outils acquises par l'Irak en Allemagne pouvaient servir de centrifugeuses. Mais aucun de ceux qui ont lancé ces affirmations n'a signalé la différence entre fabriquer des centrifugeuses et fabriquer certains composants de centrifugeuses. Cette nuance pourrait représenter une différence de quelques cinq années dans le calendrier irakien de l'enrichissement, d'après un représentant officiel d'Urenco, le fabricant européen de centrifugeuses."
Source: D. Albright et M. Hibbs, Bulletin of the Atomic Scientists, mars 91.

Notre méfiance n'est-elle pas levée par l'avalanche d'informations supplémentaires parues après la guerre sur les capacités cachées par les Irakiens? Nullement. Même un rapide survol de la presse des mois suivants permet de repérer les mêmes caractéristiques d'une "campagne médiatique orientée".
Alimentation quasi quotidienne de l'information, sources presque exclusivement américaines, abscence de remarques critiques des médias dominants. Et à nouveau ils écartent pratiquement tous les faits contraires à la thèse américaine. Enfin, la composition et l'attitude même de la fameuse commission d'enquête de l'AIEA (l'Agence Internationale de l'Energie Atomique) sont suspectes: 44 membres, dont 27 Américains, tous les autres provenant de pays soutenant les USA contre l'Irak. Le chef de la mission, David Kay, a été accusé par l'Irak de travailler pour la CIA. D'ailleurs, aux Etats-Unis (mais pas en Europe) les médias reconnaissent ouvertement que l'équipe travaille en collaboration avec les services de renseignements occidentaux. D'autres membres de l'Agence ont d'ailleurs remarqué avec étonnement que les premiers "résultats" de la mission ont été communiqués non à l'AIEA elle-même, mais bien aux services américains qui les ont directement exploités dans la presse.
En août 91, après des recherches assidues sur des sites nucléaires (que les militaires US avaient affirmé entièrement détruits après trois jours de guerre), les experts de l'AIEA avaient trouvé trois grammes de plutonium. Seuls, de très rares médias spécialisés expliquèrent que pour fabriquer une bombe nucléaire, il en fallait six kilos.

L'objectif américain dans cette nouvelle campagne semble toujours identique. Bush, n'ayant pas réussi à renverser Saddam Hussein et à le remplacer par un régime pro-américain, n'utilise-t-il pas l'arme du blocus pour accroître les difficultés du pays et arriver ainsi à ses fins? Or, pour faire accepter ce blocus inhumain à l'opinion, il est indispensable de "prouver" que l'Irak reste menaçant. Et la menace nucléaire reste l'argument qui effraie le plus l'opinion publique.
Mais l'objectif de cette campagne se limite-t-il à l'Irak? Selon le Wall Street Journal: "Obliger le tiers monde à arrêter les programmes de création d'armes nucléaires est une mission qui ne peut être accomplie par des inspecteurs sans armes. Ni par une diplomatie douce restant dans les limites imposées par les Nations-unies. Débutant en Irak, les équipes internationales d'enquête doivent être soutenues par une force militaire qui soit crédible." "Débutant en Irak"? Il ne s'agirait donc pas d'un cas "exceptionnel" de mise à la raison du "dément" Saddam Hussein? Mais bien d'un programme plus global pour donner au Nord de nouveaux moyens de s'ingérer dans tous les régimes du Sud qui lui résistent? Oui, et le Wall Street Journal, une fois encore, le média le plus franc vient du monde des affaires, indique déjà les prochains pays à "contrôler" de cette manière: Iran, Libye, Algérie.
D'ailleurs, une campagne médiatique plus modeste vise également le programme nucléaire d'Alger.

Conclusion
Au contraire des Israéliens, les Irakiens n'avaient pas de bombe et n'auraient pu en produire avant longtemps. Alors que les Américains ont utilisés du napalm, les armes chimiques irakiennes n'ont pas été employées, et sur le champ de bataille, aucune trace d'instruction à l'armée irakienne n'a pu être découverte (s'il y avait eu le moindre élément, on n'aurait pas hésité à nous le montrer).
Quant au terrorisme irakien, il n'a pas éclaté.
Tout cela, les services américains, bien informés, le savaient. A quoi servait alors cette psychose, systématiquement entretenue? A faire oublier les horreurs, bien réelles, que les alliés commettaient.
Bombarder des millions de civils sans défense, employer inutilement des armes terrifiantes, massacrer des soldats en fuite ou en train de se rendre. Des actes que les conventions de Genève qualifient de crimes de guerre, mais que l'on ne juge jamais chez les vainqueurs... Des actes que les médias ont aidé à absoudre par cette diversion...

Un dernier test de sincérité. A la fin de la guerre, le mythe de la 4ème armée se dégonfle entièrement. Que font alors les médias? Entament-ils une analyse approfondie pour vérifier comment ils ont pu se laisser abuser par un mensonge aussi grossier? Non, ils font comme si cela était "évident" et passent à autre chose. Le 4 mars, quand Le Soir aborde "l'erreur" sur les fortifications et le demi-million de mines, il attribue l'erreur à "on", c'est-à-dire à personne. Aucune explication sérieuse, aucune autocritique, aucune excuse au public.

Marketing
20 novembre 1990
Alors que l'opinion publique américaine hésite encore sur la nécessité de la guerre, un sondage CBS-New York Times signale qu'une majorité des américains n'irait pas en guerre pour protéger l'approvisionnement en pétrole du Moyen-Orient, mais soutiendrait une intervention militaire pour empêcher l'Irak de posséder la bombe atomique.

22 novembre 1990
Deux jours plus tard, par une coïncidence temporelle étonnante, le président Bush annonce à ses compatriotes que l'Irak pourrait n'être qu'à quelques mois d'avoir la bombe.

24 novembre 1990
Devant l'étonnement des experts, Brent Scowcroft, conseiller national à la sécurité, et Dick Cheney, ministre de la Défense précisent qu'il n'y a aucune preuve nouvelle que la menace nucléaire irakienne ait augmenté. Mais c'est l'impression créée par Bush qui demeurera et qui impulsera une longue campagne médiatique.
Pas forcément très regardante quant au niveau des preuves. Ainsi, William Graham, conseiller à la Défense, déclare le 30 novembre devant une commission sénatoriale: "Au lieu de demander des preuves au-dessus de tout soupçon, nous devrions nous intérroger: pourquoi l'Irak de Saddam Hussein ne le ferait-il pas?" En suivant un tel raisonnement, il est évident que n'importe qui peut être accusé de n'importe quoi.
Ceci montre que l'administration américaine applique une stratégie de marketing. Etudier systématiquement les "besoins", les attentes du public. Puis, produire les informations nécessaires.
Et faire suivre la presse.
 




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