Qui a inventé la "4ème armée du monde"?
"L'armée irakienne est la quatrième du monde", avait déclaré
le ministre américain de la Défense, Dick Cheney, suivi par
le général Schwarzkopf. C'était faux, c'était
stupide, les services de renseignements américains le savaient,
les experts le savaient, les officiels le savaient. Tout le monde savait
sauf l'opinion. Les médias l'ont à ce point répété
durant des mois que la question "quelle est la quatrième armée
du monde?" aurait été jugée trop simple pour n'importe
quel concours télévisé.
Voilà le pouvoir des médias.
Pourquoi ce mensonge a-t-il connu une telle carrière,
un tel retentissement mondial? Parce que c'était un mensonge "nécessaire".
Citons le colonel français Dufour: "Les services de renseignements
américains étaient évidemment conscients. Mais la
faiblesse considérable de l'armée irakienne n'était
pas chose avouable... Pour qu'une guerre entre les immenses Etats-Unis
et le petit Irak soit acceptable pour l'opinion internationale, il fallait
que Saddam Hussein soit représenté comme un abominable dictateur,
ce qu'il est assurément, et son armée comme une redoutable
puissance, ce qui est manifestement faux. Les Etats-Unis ont estimé
nécessaire de monter une entreprise de désinformation destinée
à faire apparaître les Irakiens comme plus forts qu'ils ne
l'étaient en réalité.
L'étonnant est que cette manoeuvre ait
pu, en France, n'avoir été perçue que par de très
rares observateurs."
Cette réflexion suscite une nouvelle question:
la désinformation américaine a-t-elle trompé les journalistes
eux-mêmes? Cette hypothèse semble une insulte à l'intelligence
de la profession, car le mythe de la 4ème armée ne résiste
pas à deux secondes de réflexion. Comment, en effet, cette
armée irakienne qui, en huit années, n'avait pas réussi
à vaincre l'Iran malgré le soutien considérable fourni
par les USA, l'URSS, l'Europe et la majorité des pays arabes, cette
armée d'un pays du tiers monde, lourdement endetté, et dont
le matériel était démodé face à la coalition
de 29 pays dont les plus puissants du monde, cette armée qui s'apprêtait
à livrer la guerre de 1914-1918 contre les maîtres de la guerre
moderne, comment a-t-elle pu être présentée comme une
terrifiante menace par les médias?
Que la majorité des journalistes ne soient
pas préparés à analyser sérieusement de telles
questions, on veut bien l'admettre (ce thème sera abordé
plus loin). Mais ne pouvant nous résoudre à croire à
l'incapacité de toute la profession, il nous faut bien poser la
question autrement: y a-t-il eu intoxication délibérée?
Comment expliquer autrement ces six mois de "campagne"
médiatique, il faut bien utiliser ce terme, six mois ressassant
quotidiennement cinq thèmes combinés, tous faux: quatrième
armée du monde, une extraordinaire ligne de fortifications entourant
le Koweït, une armée de terroristes irakiens prête à
frapper partout dans le monde, Saddam Hussein à deux doigts de posséder
la bombe nucléaire et enfin la menace chimique terrifiante... Cette
accumulation d'éléments, choisis pour frapper l'inconscient
collectif, même par des moyens irrationnels, caractérise les
campagnes de propagande mises sur pied par les services de désinformation
et on les retrouve dans les campagnes visant d'autres pays "ennemis". Cette
seule accumulation devrait déjà mettre la puce à l'oreille
des journalistes qui se veulent critiques...
Les Américains savaient
"Par leurs services de renseignements les militaires
américains savaient que les troupes irakiennes terrestres étaient
au nombre de 350.000 et non 540.000 comme régulièrement annoncé
par les médias. Ils savaient également que de nombreuses
unités étaient peu équipées, et que dès
la première phase de la préparation, l'Irak avait de gros
problèmes quant au moral et aux désertions.
De plus, ils savaient que les forces alliées
ne rencontreraient pas de grands problèmes, en traversant les champs
de mines, et que l'artillerie irakienne ne pouvait se vanter de sa précision.
Dès lors, ils étaient probablement bien conscients que le
risque de pertes parmis leurs propres soldats était fortement exagéré.
Pourtant, la désinformation sur "le puissant appareil de guerre
irakien" continua, sans doute pour éviter de mettre en cause la
légitimité de la guerre terrestre."
Source: Rune Ottosen, communication au colloque
d'Istanbul, IAMCR, juin 1991.
Dans quel but, ce mythe de la 4ème armée a-t-il été diffusé? Dans le but de justifier la brutalité de la "punition" qui allait être infligée à l'Irak. Comme nous l'avons montré, le but des Etats-Unis n'était pas l'évacuation du Koweït (la guerre n'était pas nécessaire pour cela), mais la destruction, la plus humiliante possible, de l'Irak. Pour cela, pour donner un avertissement à l'ensemble du tiers monde, il fallait que la punition soit terrible. L'opinion publique occidentale ne pouvait l'admettre que si au préalable on lui avait dépeint l'Irak comme un danger épouvantable. Deux mythes étaient nécessaires: premièrement, Saddam = Hitler; deuxièmement, cet Hitler ne saurait être effrayant, évidemment, qu'avec une armée effrayante elle aussi. Gonfler l'importance de l'ennemi justifie qu'on en tue un grand nombre et par les pires méthodes.
Pourquoi ce classement biscornu de "4ème
armée"? Parce qu'elle compte un grand nombre d'effectifs? Ce n'est
évidemment pas ainsi que l'on juge la force d'une armée.
Sinon, la Chine et l'URSS auraient devancé les Etats-Unis. Non,
ce concept, élaboré par les services de "communication" des
Américains, remplit une fonction précise. En tennis, par
exemple, un match entre le premier joueur mondial et le quatrième
serait relativement équilibré et une surprise ne serait pas
à exclure. Alors qu'en réalité, l'écart économique,
financier et technologique entre les USA et un petit pays du tiers monde
est tel que ce dernier n'a aucune chance, du moins dans un affrontement
d'armées conventionnelles (à la différence d'une guérilla
populaire).
En passant: pourquoi aucun de ces experts militaires
invités en grandes pompes par les médias n'a-t-il répondu
à la question "mais quelle est donc la troisième armée
du monde"? Cette seule question aurait mis par terre tout le raisonnement.
Il aurait bien fallu admettre que l'armée israélienne, équipée
à grands frais par les USA, surpassait celle de l'Irak. Et alors
où classer la France et l'Angleterre? Le raisonnement ne tenait
donc pas debout.
Il est frappant de voir Le Monde commencer cette
campagne très tôt. Dès le 3 août, il titre "L'armée
irakienne: la plus puissante du monde arabe." Comment le démontre-t-il?
En comparant les armées de l'Irak et du... Koweït! C'est aussi
intelligent que de comparer l'ex-URSS non aux USA mais à la Suisse.
Cinq jours plus tard, le quotidien français compare "l'équipement
militaire des plus sophistiqués" de l'Irak avec l'armée de
l'Arabie Saoudite.
Pour rendre crédible la thèse d'un
Irak dominant largement ses voisins, Le Monde ne se risque jamais à
le comparer avec les véritables puissances militaires de la région.
Qu'indique en effet cette comparaison? Que "sur le papier au moins, l'Irak
dispose d'une importante force armée, mais ni plus et parfois même
moins importante que celle de ses principaux voisins. L'armée irakienne
est tout aussi menaçante dans Le Soir qui titre: "Les bouchées
doubles pour tuer" (27/08) ou "Le spectre de l'arme biologique" (02/01).
Tout cela sans être très regardant sur la fiabilité
des sources. Par exemple, ce titre du Monde du 26 août: "L'Irak continuerait
de recevoir du matériel militaire dont des produits chimiques en
provenance de Libye." D'où émane l'information? Uniquement
de la présidence américaine. Est-ce au moins solidement étayé?
Jugez-en: "La Maison-Blanche refuse toute précision sur la nature,
la quantité et les moyens d'acheminement de ce matériel."
Bref une information guère fiable, mais qui vaut quand même
un titre et que Le Monde ne vérifiera auprès d'aucune autre
source.
Certes, une fois sur dix, au mieux, Le Soir et
Le Monde donnent la parole à des avis contraires. Ainsi, le 24 août
90, tous deux reflètent l'avis de "sources proches des services
de renseignements britanniques, pour qui l'armée irakienne ne serait
pas en aussi bonne condition qu'on l'avait d'abord cru", mais l'information
fait à peine huit lignes dans Le Monde. Et dans Le Soir, elle est
placée sous le titre "Les experts en stratégie divisés
sur la puissance irakienne." Un article exceptionnellement "équilibré":
trois experts non alarmistes, deux alarmistes.
L'exception sera de courte durée. Dès
que les officiels US insisteront sur leur thèse de 4ème armée,
Le Soir "oubliera" complètement ces experts "non alarmistes". Par
exemple, il n'interviewera plus jamais le spécialiste américain
Michael Klare, pourtant auteur d'un article remarquable et bien documenté
dans Le Monde Diplomatique de janvier 91. Parce qu'il démontrait
de façon convaincante qu'aux yeux des Américains, le Golfe
est le "banc d'essai des guerres de demain"?
Bons et mauvais terroristes
En définitive, il n'y eut que des actes
individuels isolés et peu importants. "L'armée terroriste"
irakienne n'existait que dans les discours des services secrets et des
médias. Mais la crainte du terrorisme irakien a été
alimentée par des articles nombreux et alarmants. Par exemple, en
janvier 91, Le Soir annonce des "menaces" ou attentats terroristes les
5, 11, 16, 17 (deux fois), 18, 19, 26 (deux fois), 28, et 30 janvier. En
février, les 1, 4, 5 (deux fois), 6 (trois fois), 7, 8, 12, 15,
(deux fois), 16 et 22 février. Quand les menaces ne se concrétisent
pas, on dément rarement; en fait, à chaque fois la menace
est "reportée": "Fausses alertes sans menace précise","L'Irak
conserve son armée de terroristes", "Réseaux dormants en
Europe et en Asie", "La vague terroristes est-elle lancée?" (cet
article est basé sur un "attentat" à la base de Norfolk (USA)
qui sera démenti deux jours plus tard), "L'offensive terroriste
n'a pas encore eu lieu" et puis finalement, le 4 mars, Le Soir ne s'avouant
jamais vaincu: "Il est très possible que le terrorisme frappe une
fois la guerre finie"...
Pour décerner la palme de l'odieux, on
hésite. revient-elle à ce gros titre qui barre toute la page
4 du Soir du 28 janvier: "Actions terroristes et cris pacifistes"? Un amalgame
de bas étage mais toujours très efficace pour discréditer
la contestation. Ou bien au commentaire ci-contre?
En matière de terrorisme, les médias se montrent généralement peu curieux sur les "preuves" avancées par les Américains. Même quand les représailles prennent une grande importance. Ainsi, le 14 avril 1986, les Etats-Unis bombardèrent les villes libyennes de Tripoli et Benghazi, tuant une centaine de personnes. La "justification" avait été avancée le jour même par Ronald Reagan: "Nous avons les preuves directes, précises, irréfutables, et Kadhafi le sait" de la responsabilité libyenne dans l'attentat terroriste commis neuf jours plus tôt dans une discothèque de Berlin-Ouest, qui fit deux tués: un soldat américain et un Turc.
Preuves irréfutables? D'après une
dépêche d'Associated Press du même 14 avril, "des responsables
américains et allemands affirmaient que la Libye était suspectée
d'être impliquée dans le bombardement, peut-être via
son ambassade à Berlin-Est". Les médias ne soulèveront
pas cette contradiction entre "possible", "peut-être" et les "preuves
irréfutables" de Reagan. Ils évoqueront encore moins la déclaration
de Manfred Ganschow, chef de la police, qui à la tête d'une
équipe de cent hommes chargés de l'enquête, constatera
le 28 avril : "Je n'ai pas plus de preuve que la Libye soit liée
à l'attentat que lorsque vous m'avez appelé deux jours après
les faits. C'est-à-dire aucune preuves." Et d'ajouter que "l'affaire
était hautement politique" et qu'il était extrêmement
sceptique sur ce que les politiciens en disaient.
Les "preuves" et les "certitudes" varient facilement
selon les besoins politiques. Comme nous l'avons indiqué, les attentats
à la bombe commis contre un Boeing à Lockerbie et contre
un DC-10 français en 1989 avaient été attribué
à la Syrie, voire à l'Iran (peut-être en représailles
contre le bombardement d'un DC-10 par les Etats-Unis). Mais après
la guerre du Golfe, la Syrie étant devenue une fidèle alliée
et l'Iran redevenant respectable, la "certitude" se déplaça
vers la Libye et des "preuves irréfutables" sortirent à nouveau
des tiroirs. Pour justifier une nouvelle intervention militaire?
D'une manière générale, la couverture médiatique du terrorisme est également guidée par le principe "deux poids, deux mesures". Eux (les Palestinniens, les Libyens, etc.) ont des "terroristes"; "nous" n'avons que des opérations de "contre-terrorisme". Dans la presse occidentale, on ne décrira pas les actions terroristes menées par des services américains via leurs exilés cubains ou via d'autres couvertures. On ne rappellera pas le passé terroriste du premier ministre israélien Shamir ni d'autres attentats sionistes anciens ou récents, y compris en Europe.
Combien de Gardes républicains?
Dans le psychodrame "Guerre du Golfe", on a fait
jouer à cette fameuse Garde nationale républicaine un rôle
similaire à celui de "la sinistre Securitate roumaine". Les fanatiques
effrayants qui justifient l'emploi des grands moyens. Selon Le Soir (21/01),
"C'est pour cette raison que, depuis le début du conflit, les bombardiers
B-52 ne cessent de déverser des tapis de bombes sur les cinq divisions."
(Et
accessoirement, mais ça Le Soir ne le dit pas, sur des civils...)
Mais au fait combien d'effectifs comptait-elle,
cette terrible Garde? Voici quelques chiffres...
45 000 (Le général français
Buis, Le Nouvel Observateur, 28/02/91)
120 000 (Le Soir, 21/01/91)
150 000 (Le Soir, 25/02, Libération, 26/02)
Délibérément exagérée
Le journaliste américain John Ross (USA) était envoyé spécial à Mexico lors des préparatifs de la guerre: "On est écoeuré quand on songe, au souvenir de l'hystérie qui s'est emparée de Mexico à la veille de la guerre, que la menace militaire que Saddam Hussein présentait pour la paix mondiale était délibérément exagérée afin que l'Irak puisse être élevé au rang d'un adversaire approprié pour la mise en oeuvre de l'arsenal de destruction hautement sophistiqué qui allait sous peu envahir les petits écrans de l'Amérique latine. Si Saddam Hussein n'avait été diabolisé comme un nouveau Hitler et si la fausse estimation préméditée de la puissance militaire irakienne n'avait pas été transmise par les longs bras de CNN et de Televisa (chaîne de TV mexicaine), la guerre aurait été perçue en Amérique latine juste comme une autre intervention yankee brutale contre une nation souveraine du Sud."
La bombe: seuls nos amis peuvent l'avoir
Bien que ce soient les Etats-Unis qui ont "envisagé"
d'utiliser l'arme nucléaire contre l'Irak (le Sénat en a
discuté pendant trois jours et le vice-président Dan Quayle
"n'excluait pas" son usage), les médias ont centré leurs
projecteurs sur la menace nucléaire irakienne. Certains journaux
à sensation ont même fait comme si l'Irak possédait
déjà la bombe. L'International Herald Tribune n'hésitera
pas à titrer, le 25 septembre 91, "Irak is rebuilding nuclear capacity":
L'Irak reconstruit son potentiel nucléaire. Comme s'il y en avait
jamais eu un!
Bombe irakienne? Un débat complètement
faussé à la base car ces mêmes médias ont "oublié"
de rappeler qu'Israël possédait déjà la bombe
atomique: plus de cent têtes nucléaires. Ils n'ont jamais
expliqué que si l'Irak s'était toujours soumis aux inspections
de l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique (AIEA), Israël,
lui, refusait et refuse toute inspection du même organisme ou toute
signature d'un texte limitant l'usage des armes nucléaires.
2 700 personnes travaillent à Dimona,
le site nucléaire d'Israël. L'uranium provient de France, d'Afrique
du Sud, de Belgique, de Centrafrique, du Gabon et du Niger. Les fusées
porteuses pourraient atteindre 1 500 ou 1 700 km. Dimona a été
construit avec la collaboration des Français dans les années
50 et 60 et la coopération des présidents américains
successifs. Recemment encore, le président Bush a décidé
qu'il ne fallait prendre aucune sanction contre Israël pour sa collaboration
nucléaire de longue date
avec le régime
sud-africain.... (sans-commentaires....)
A voir sur ce site l'article: "Comment Washington
a piégé les ordinnateurs du Monde entier!" (Le fameux logiciel:
PROMIS, ca vaut le détour!).
Selon le récent livre de Seymour Hersh,
Israël a même déclenché l'état d'alerte
maximum à trois reprises (deux fois en 1973 durant la guerre du
Kippour, une fois au début 1991). Pour cibler ses objectifs, Israël
se base sur des photos-satellites communiquées par les Américains.
Notamment pour frapper un réacteur civil irakien en 1981.
La
réaction du président Reagan à ce raid aurait été:
"Il faut que jeunesse se passe!"
Pour maintenir le silence, les services secrets
israéliens allèrent jusqu'à kidnapper, en Europe même,
un technicien israélien, Mordechaï Vanunu, qui s'apprêtait
à révéler les secrets de cette production.
Dénoncé par le patron de presse
Robert Maxwell, Vanunu fut emmené en Israël et condamné
à 18 ans de prison.
(Robert Maxwell,
lui aussi cité et apparement bien mêlé dans l'affaire
PROMIS, j'oubliais, il serait "tombé" du pont d'un paquebot lors
d'une croisière et son corps perdu en mer...)
Tout cela est essentiel pour comprendre le rapport
de forces régional, les médias dominants oublient de le rappeler.
Quand Le Monde parle des "dangers de la prolifération nucléaire",
pour lui, ces dangers proviennent seulement d'Irak: "Sans l'Agence Internationale
de l'Energie Atomique" (...), Saddam Hussein disposerait peut-être
déjà de l'arme nucléaire." (Le Monde, 24/08/90)
Pas un mot sur le fait qu'Israël en dispose
depuis belle lurette. En outre, les médias n'ont jamais rappelé
qu'en avril 1990, Saddam Hussein proposait à cinq sénateurs
américains d'interdire toutes les armes chimiques, nucléaires
et bactériologiques dans toute la région du Moyen-Orient.
Bush jugea cette proposition inacceptable pour Israël. Il faut dire
que la législation américaine interdit d'aider un pays qui
développe un programme nucléaire secret.
La question de la "menace nucléaire irakienne"
est donc mal posée. Cependant il est très instructif d'examiner
la façon dont les médias l'ont traitée presque chaque
jour. Cette couverture suscite des questions que l'on devrait poser chaque
fois qu'on est en présence d'une campagne médiatique: comment
se fait-il qu'on en parle quotidiennement? Quelle source alimente cette
campagne en "information"? Quelle attitude la presse adopte-t-elle vis-à-vis
de cette source? Indique-t-elle ses intérêts?
Un critère décisif: oui ou non
écarte-t-on les informations qui vont dans un sens contraire à
la thèse de la campagne? Si oui, on peut déduire de toutes
ces constatations que cette campagne ne recherche pas la vérité
mais un effet de propagande. On ferait mieux de se méfier systématiquement
des "informations" amenées par cette campagne. La recette en est
généralement: un peu de vrai, beaucoup de faux, une mise
en perspective tendancieuse qui gonfle les effets pour faire passer une
autre thèse bien cachée au départ.
Qui avait intérêt à ce qu'on
parle du nucléaire irakien? La réponse est claire: empêcher
l'Irak d'avoir la bombe, et en laisser le monopole régional à
Israël, était bien un des objectifs de guerre des Etats-Unis.
L'Irak préparait-il une bombe atomique
et était-il proche de l'obtenir? Pour nous, lecteurs non-initiés,
cette question est difficile, voire impossible à trancher. Par son
caractère technique d'abord, mais surtout à cause de la désinformation
qui s'est accumulée sur le sujet et qui rend la vérité
toujours plus lointaine. L'indice qui nous semble décisif: les médias
dominants ont écarté systématiquement toutes les informations
contraires à leurs thèses. Il apparaît que les délais
de fabrication ont été volontairement raccourcis pour faire
peur au public.
Ce qu'on ne vous a pas dit:
"Il n'y a pas de preuve jusqu'ici que l'Irak
ait commencé à travailler avec des centrifugeuses installées
en cascade. D'autres pays, comme le Pakistan et le Brésil ont mis
dix années au moins à perfectionner cette technologie."
(Source:
Dan Charles, New Scientist, 17/08/91).
"Les "Krytrons", ces détonateurs électroniques
qui amenèrent les experts occidentaux à penser, à
la veille de la guerre du Golfe, que Saddam Hussein était sur le
point de fabriquer une bombe atomique, se révèlent n'être
rien d'autre que de puissants condensateurs. (...)
Les cameramen de NBC se postèrent durant
des semaines près des bureaux d'Euromac (la firme anglaise livrant
ces condensateurs) et filmèrent tous ceux qui entraient et sortaient
en espérant l'arrestation des deux principaux suspects. Leur arrestation
devait apporter au monde la preuve définitive de la menace nucléaire
de Saddam. (...) Les papiers d'expulsion de Daghir, le Britannique d'origine
irakienne (accusé d'exportation frauduleuse des "Krytrons"), étaient
déjà prêts. Mais il refusa tout simplement de se laisser
embarquer sur l'avion et, citoyen britannique, exigea un procès
en Angleterre. Finalement, ce procès a mené à la conclusion
que les "Krytrons" dont on avait tant parlé, était en réalité
des condensateurs qui n'étaient pas destinés à la
mise à feu d'une bombe atomique, mais à la fabrication de
caméras rapides. Ce fait, connu une semaine après l'arrestation,
a été passé sous silence durant plus d'un an."
(Source:
NRC (quotidien hollandais), 27/06/91.
Terrorisme méconnu
En 1978, Shalom Cohen, sioniste, directeur du
journal israélien Maodham Hozé, ancien député
et correspondant du journal socialiste français Le Matin écrivait:
"Le sionisme, n'ayant pu sauver les juifs d'Europe, se trouvait après
la guerre mondiale sans objectif valable. Pour donner une justification
morale à l'existence de leur pays, les sionistes cherchèrent
à "sauver" d'autres juifs malgré eux. Les seuls possibles
étaient ceux du monde arabe."
L'auteur affirmait que David Ben Gourion et ses
hommes arrivèrent à une entente avec l'imam Yahya du Yémen,
Nouri Saïd d'Irak et d'autres dirigeants arabes: "L'accord était
simple: prenez les biens des juifs et donnez-nous leurs corps. Ni les uns
ni les autres ne se souciaient de l'âme de ces juifs...
En Irak, cet accord se heurta à un obstacle:
les juifs qui vivaient dans la prospérité ne voulaient pas
émigrer. Les envoyés officiels d'Israël lancèrent
alors des bombes sur des centres juifs, semant la panique et poussant la
quasi-totalité des juifs d'Irak à partir pour Israël
en moins d'un an."
Cité dans Jeune Afrique, 22 février
1978.
"La couverture médiatique des derniers
développements a été déséquilibrée
et a suivi les schémas précédents, tendant à
exagérer les capacités irakiennes. (...) Un aspect important
n'a pas été relaté dans les médias: le fait
que les officiels de l'AIEA ont fortement réduit leurs estimations
de la quantité d'uranium enrichie par l'Irak. Der Spiegel, suivi
par des experts américains partisans de la non-prolifération
et des experts du contrôle des exportations, a affirmé que
les machines-outils acquises par l'Irak en Allemagne pouvaient servir de
centrifugeuses. Mais aucun de ceux qui ont lancé ces affirmations
n'a signalé la différence entre fabriquer des centrifugeuses
et fabriquer certains composants de centrifugeuses. Cette nuance pourrait
représenter une différence de quelques cinq années
dans le calendrier irakien de l'enrichissement, d'après un représentant
officiel d'Urenco, le fabricant européen de centrifugeuses."
Source: D. Albright et M. Hibbs, Bulletin of
the Atomic Scientists, mars 91.
Notre méfiance n'est-elle pas levée
par l'avalanche d'informations supplémentaires parues après
la guerre sur les capacités cachées par les Irakiens? Nullement.
Même un rapide survol de la presse des mois suivants permet de repérer
les mêmes caractéristiques d'une "campagne médiatique
orientée".
Alimentation quasi quotidienne de l'information,
sources presque exclusivement américaines, abscence de remarques
critiques des médias dominants. Et à nouveau ils écartent
pratiquement tous les faits contraires à la thèse américaine.
Enfin, la composition et l'attitude même de la fameuse commission
d'enquête de l'AIEA (l'Agence Internationale de l'Energie Atomique)
sont suspectes: 44 membres, dont 27 Américains, tous les autres
provenant de pays soutenant les USA contre l'Irak. Le chef de la mission,
David Kay, a été accusé par l'Irak de travailler pour
la CIA. D'ailleurs, aux Etats-Unis (mais pas en Europe) les médias
reconnaissent ouvertement que l'équipe travaille en collaboration
avec les services de renseignements occidentaux. D'autres membres de l'Agence
ont d'ailleurs remarqué avec étonnement que les premiers
"résultats" de la mission ont été communiqués
non à l'AIEA elle-même, mais bien aux services américains
qui les ont directement exploités dans la presse.
En août 91, après des recherches
assidues sur des sites nucléaires (que les militaires US avaient
affirmé entièrement détruits après trois jours
de guerre), les experts de l'AIEA avaient trouvé trois grammes de
plutonium.
Seuls, de très rares médias
spécialisés expliquèrent que pour fabriquer une bombe
nucléaire, il en fallait six kilos.
L'objectif américain dans cette nouvelle
campagne semble toujours identique. Bush, n'ayant pas réussi à
renverser Saddam Hussein et à le remplacer par un régime
pro-américain, n'utilise-t-il pas l'arme du blocus pour accroître
les difficultés du pays et arriver ainsi à ses fins? Or,
pour faire accepter ce blocus inhumain à l'opinion, il est indispensable
de "prouver" que l'Irak reste menaçant. Et la menace nucléaire
reste l'argument qui effraie le plus l'opinion publique.
Mais l'objectif de cette campagne se limite-t-il
à l'Irak? Selon le Wall Street Journal: "Obliger le tiers monde
à arrêter les programmes de création d'armes nucléaires
est une mission qui ne peut être accomplie par des inspecteurs sans
armes. Ni par une diplomatie douce restant dans les limites imposées
par les Nations-unies. Débutant en Irak, les équipes internationales
d'enquête doivent être soutenues par une force militaire qui
soit crédible." "Débutant en Irak"? Il ne s'agirait donc
pas d'un cas "exceptionnel" de mise à la raison du "dément"
Saddam Hussein? Mais bien d'un programme plus global pour donner au Nord
de nouveaux moyens de s'ingérer dans tous les régimes du
Sud qui lui résistent? Oui, et le Wall Street Journal, une fois
encore, le média le plus franc vient du monde des affaires, indique
déjà les prochains pays à "contrôler" de cette
manière: Iran, Libye, Algérie.
D'ailleurs, une campagne médiatique plus
modeste vise également le programme nucléaire d'Alger.
Conclusion
Au contraire des Israéliens, les Irakiens
n'avaient pas de bombe et n'auraient pu en produire avant longtemps. Alors
que les Américains ont utilisés du napalm, les armes chimiques
irakiennes n'ont pas été employées, et sur le champ
de bataille, aucune trace d'instruction à l'armée irakienne
n'a pu être découverte (s'il y avait eu le moindre élément,
on n'aurait pas hésité à nous le montrer).
Quant au terrorisme irakien, il n'a pas éclaté.
Tout cela, les services américains, bien
informés, le savaient. A quoi servait alors cette psychose, systématiquement
entretenue? A faire oublier les horreurs, bien réelles, que les
alliés commettaient.
Bombarder des millions de civils sans défense,
employer inutilement des armes terrifiantes, massacrer des soldats en fuite
ou en train de se rendre. Des actes que les conventions de Genève
qualifient de crimes de guerre, mais que l'on ne juge jamais chez les vainqueurs...
Des actes que les médias ont aidé à absoudre par cette
diversion...
Un dernier test de sincérité. A la fin de la guerre, le mythe de la 4ème armée se dégonfle entièrement. Que font alors les médias? Entament-ils une analyse approfondie pour vérifier comment ils ont pu se laisser abuser par un mensonge aussi grossier? Non, ils font comme si cela était "évident" et passent à autre chose. Le 4 mars, quand Le Soir aborde "l'erreur" sur les fortifications et le demi-million de mines, il attribue l'erreur à "on", c'est-à-dire à personne. Aucune explication sérieuse, aucune autocritique, aucune excuse au public.
Marketing
20 novembre 1990
Alors que l'opinion publique américaine
hésite encore sur la nécessité de la guerre, un sondage
CBS-New York Times signale qu'une majorité des américains
n'irait pas en guerre pour protéger l'approvisionnement en pétrole
du Moyen-Orient, mais soutiendrait une intervention militaire pour empêcher
l'Irak de posséder la bombe atomique.
22 novembre 1990
Deux jours plus tard, par une coïncidence
temporelle étonnante, le président Bush annonce à
ses compatriotes que l'Irak pourrait n'être qu'à quelques
mois d'avoir la bombe.
24 novembre 1990
Devant l'étonnement des experts, Brent
Scowcroft, conseiller national à la sécurité, et Dick
Cheney, ministre de la Défense précisent qu'il n'y a aucune
preuve nouvelle que la menace nucléaire irakienne ait augmenté.
Mais c'est l'impression créée par Bush qui demeurera et qui
impulsera une longue campagne médiatique.
Pas forcément très regardante quant
au niveau des preuves. Ainsi, William Graham, conseiller à la Défense,
déclare le 30 novembre devant une commission sénatoriale:
"Au lieu de demander des preuves au-dessus de tout soupçon, nous
devrions nous intérroger: pourquoi l'Irak de Saddam Hussein ne le
ferait-il pas?" En suivant un tel raisonnement, il est évident que
n'importe qui peut être accusé de n'importe quoi.
Ceci montre que l'administration américaine
applique une stratégie de marketing. Etudier systématiquement
les "besoins", les attentes du public. Puis, produire les informations
nécessaires.
Et faire suivre la presse.