Comprendre le Koweït en cachant son histoire?
Si demain l'Allemagne annexait le Luxembourg, imagine-t-on que cet acte
serait soutenu par des Portugais ou des Danois? Non. Pourtant, de nombreux
Arabes, en Tunisie, en Algérie et ailleurs, ont applaudi le geste
de Saddam Hussein. Si la majorité des Arabes n'approuvait pas cette
invasion, tous reconnaissaient qu'il y avait en tout cas matière
à discussion, voire négociation.
Comment comprendre une telle situation sans étudier sérieusement
l'histoire de la région? Nos médias ont occulté cette
histoire, se limitant aux événements immédiats et
présentant les conséquences en cachant les causes. Dans le
meilleur des cas, certains ont signalé, d'une part que beaucoup
d'Arabes en voulaient au Koweït, d'autre part que les frontières
étaient arbitraires, mais qu'on ne pouvait revenir là-dessus.
Cacher le passé du Golfe, ou l'évoquer très partiellement,
de façon sélective, rendait la situation incompréhensible
et présentait les Arabes comme déraisonnables.
Une histoire honteuse
Tout commence par une trahison. Lors de la Première Guerre mondiale,
les Anglais promettent l'indépendance aux Arabes du Golfe s'ils
se soulèvent contre les Turcs (alliés à l'Allemagne).
Mais l'accord secret Sykes-Picot, entériné en 1920, partage
le Moyen-Orient entre Anglais et Français.
Répondant aux arguments irakiens, certains médias ont
admis le caractère "arbitraire, artificiel" de ces frontières.
Mais ces frontières n'étaient pas seulement arbitraires;
le plus important, c'est qu'elles visaient délibérément
à affaiblir le monde arabe, à y laisser des bombes à
retardement, permettant à l'Occident de maintenir sa domination.
Les textes rassemblés ci-après démontrent que Saddam
Hussein était parfaitement en droit d'affirmer, le 25 août
1990 :
"Le Koweït est une création des services secrets
britanniques dont l'objet est de priver l'Irak d'un accès à
la mer."
Indiquant parfois que l'Irak avait reconnu l'indépendance du
Koweït en 1963, les médias passaient généralement
sous silence le fait que cette reconnaissance n'était qu'une parenthèse
dans une longue résistance. Personne ne disait qu'en 1961 déjà,
les Britanniques avaient dû déployer 5 000 hommes dans le
Golfe pour empêcher le général Kassem, un prédécesseur
de Saddam Hussein, de marcher sur le Koweït (voir ci-après).
Les réactions anglo-américaines de cette époque sont
très révélatrices :
1. Anglais et Américains
ne fixent pas de limites à leur usage de la force. 2. Le but de
leur intervention est très clair: assurer le contrôle du pétrole.
3. Ils hésitent entre accroître leur contrôle sur le
Koweït ou accorder à celui-ci une indépendance formelle.
Mais une indépendance réelle n'est pas envisagée.
4. Sans l'intervention anglaise de 1961, aux mobiles peu défendables,
le Koweït n'existerait plus.
On escamotait aussi l'épisode de 1973, lorsque l'Irak avait
massé des troupes à la frontière, s'emparant même
du nord-est du Koweït, puis se retirant à la demande de la
Ligue arabe. Ce qui, entre parenthèse, indique que des "solutions
arabes" n'étaient pas forcément impossibles.
L'affaire de tous les Irakiens
"Un spécialiste irakien des sciences politiques, souhaitant rester
anonyme car il a de la famille en Irak, affirme qu'au pays, même
ceux qui s'opposent violemment au régime de Saddam Hussein, soutiennent
la revendication sur une partie du Koweït : "Ce n'est pas le problème
ou l'affaire de Saddam; c'est l'affaire de chaque Irakien, même ceux
qui, comme moi, s'opposent à Saddam et pensent que l'invasion était
une erreur complète. Même si Saddam mourait aujourd'hui, la
cause du problème ne prendrait pas fin. Elle surgira encore et encore
jusqu'à ce qu'il y ait un accord."
"Le problème de fond, c'est que six familles, mises en place
par l'impérialisme britannique et dont l'Occident tire les ficelles,
contrôlent 34% des réserves mondiales de pétrole",
déclare Dilip Hiro, un écrivain du Moyen-Orient.
Source: Glenn Frankel, Lines in the sand, Gulf
War Reader, New York, 1991.
Trahison et manoeuvres britanniques (1916-1920)
"Mieux vaut gagner et se parjurer que perdre", aurait dit Thomas Edward
Lawrence, dit "d'Arabie" dont les promesses et l'activisme pesèrent
si lourd dans la révolte arabe. De fait, son double langage éclate
dès l'origine lorsqu'il écrit: (...) "Les Arabes sont encore
plus instables que les Turcs. Si nous savons nous y prendre, ils resteront
à l'état de mosaïque politique, un tissu de petites
principautés jalouses, incapables de cohésion, et pourtant
toujours prêtes à s'entendre contre une force extérieure..."
Source: Alain Gresh et Dominique Vidal, Clefs
pour une guerre annoncée, Paris, 1991.
"En occupant la Mésopotamie (futur Irak), nous avons enfoncé
un coin dans le monde islamique.
Je propose que nous conservions la Mésopotamie sous le contrôle
de la Grande-Bretagne. Il ne faut pas qu'elle soit unie politiquement au
reste du monde arabe. Elle doit au contraire en être isolée
dans toute la mesure du possible."
Cité par Majed Nehmé, Nouvelle
Afrique Asie, octobre 1990.
"Mon ambition, écrivait Mark Sykes, le
négociateur britannique du grand partage, à Lord Curzon,
est que les Arabes soient notre premier dominion, et non notre dernière
colonie à peau bronzée. Les Arabes réagissent contre
vous si vous essayez de les mener et ils sont aussi tenaces que les juifs,
mais on peut les conduire partout sans user de la force si c'est théoriquement
bras dessus bras dessous."
Gresh et Vidal, déjà cité.
"Même avant la découverte du pétrole,
le nouvel Irak était l'Etat le plus prospère, le plus développé
politiquement des nouvelles nations arabes. Ce qui lui manquait, c'était
un accès à la mer, ce que le British War Office avait délibérément
choisi de refuser au nouvel Etat afin de limiter son influence dans le
Golfe et de le maintenir sous la dépendance de la Grande-Bretagne."
Glenn Frankel, Lines in the sand, déjà
cité.
RTBF , JT, 12 août 1990
Depuis 1899, le Koweït vit, au contraire de l'Irak, sous un régime de large autonomie, bénéficiant de la protection britannique. (Jolis euphémismes pour une occupation coloniale imposée par la force brutale).
Conformément à des accords secrets signés en 1916, Français et Anglais se partagent les restes. L'Irak tombe dans le giron britannique... (Après avoir menti aux Arabes et en leur promettant l'indépendance).
Les justifications de Saddam Hussein sont donc
loin de convaincre
les experts.
(Pas "les experts", mais seulement ceux d'accord
avec votre thèse!)
Un expert: Les frontières artificielles de tous les Etats du Moyen-Orient actuel ont été reconnues par le droit international, y compris le Koweït, les Emirats arabes unis. Il ne convient pas de les remettres en question (...) dans la mesure où aucun des Etats du Moyen-Orient ne résulte d'une formation naturelle... (Cache le fait que les frontières, non seulement sont artificielles, mais surtout ont été imposées par les britanniques pour affaiblir l'Irak. Et pour conclure: Quel Etat européen s'est formé "naturellement"?)
Comment on traça les frontières...
"Sir Percy Cox, haut-commissaire de Londres,
convoqua dans sa tente le cheikh Ibn Saoud, futur roi d'Arabie Saoudite:
"J'étais étonné, écrit Dickson (attaché
militaire britannique), de le voir réprimandé comme un méchant
écolier par le haut-commissaire de Sa Majesté et de s'entendre
dire brusquement que lui, Percy Cox, déciderait lui-même du
type de frontières et de la ligne de celles-ci (...) Ibn Saoud s'effondra
quasiment et fit observer pathétiquement que Sir Percy Cox était
à la fois son père et sa mère, qu'il l'avait fait
et élevé de rien à la position qu'il occupait et qu'il
abandonnerait la moitié de son royaume, pour ne pas dire la totalité,
si Percy l'ordonnait." (...) En deux jours (...) l'affaire fut conclue.
Les frontières modernes de l'Irak, de l'Arabie Saoudite et du Koweït
furent établies par décret impérial britannique."
Gresh et Vidal, déjà cité.
Les gaz chimiques pour briser
la résistance arabe en 1920
(Après la fixation des frontières,) "Il y eut une explosion
d'amère colère. Les Arabes lancèrent des attaques
contre les établissements britanniques en Irak et contre les Français
en Syrie. Les deux insurrections furent impitoyablement réprimées.
En Irak, l'armée britannique incendia chaque village d'où
avait été lancée une attaque, mais les Irakiens ne
se laissèrent pas décourager.
(Revenu en Angleterre, Lawrence d'Arabie) suggéra avec une pesante
ironie qu'il n'était pas très efficace de brûler les
villages: "Par des attaques de gaz, l'entièreté de la population
des districts en infraction pourrait être éliminée
de façon bien nette."
Source: Philip Khnightley, Imperial Legacy, dans
Gulf War Reader...
"Je ne comprends pas ces réticences
à l'emploi du gaz (en Irak). Je suis fortement en faveur de l'utilisation
du gaz toxique contre des tribus barbares... L'effet moral en sera bon.
On diffusera une terreur vivace."
Winston Churchill, secrétaire d'Etat
à la guerre, 1919.
"Nous intervenons pour nous assurer le pétrole"
1958
"En juillet 1958, un coup d'Etat militaire mené par des officiers
irakiens nationalistes menaça le contrôle anglo-américain
de ces régions pétrolifères. Il entraîna un
vaste éventail de réactions, y compris un débarquement
de Marines US au Liban. (L'analyste US) Quandt estime que le président
Eisenhower se référait aux armes nucléaires quand,
selon ses propres termes, il ordonna au chef d'état major, le général
Twining, d'être "préparé à employer, sous réserve
d'approbation par lui, Eisenhower, n'importe quels moyens pouvant s'avérer
nécessaires pour empêcher des mouvements de force hostiles
(de l'Irak) en direction du Koweït."
Source: N. Chomsky, Deterring Democracy, New
York, 1991.
1961
"Faute de pouvoir isoler l'Irak en lui faisant
endosser une politique anti-arabe, les Etats-Unis et l'Angleterre changent
d'angle d'attaque et commencent à le miner de l'intérieur
de sorte qu'il ne puisse plus se relever et s'occuper d'autre chose que
de ses problèmes d'intendance. L'Angleterre qui était tentée
en 1958 de rendre le Koweït à l'Irak monarchique, se ressaisit
et décide d'en faire un Etat à part entière après
la chute de la monarchie irakienne cette même année (...)
Le nouveau maître de Bagdad, le général
Abdel Karim Kassem, (...) s'attaqua ensuite aux intérêts britanniques
et décida, au lendemain de la proclamation unilatérale de
l'indépendance du Koweït, d'annexer cette "partie de l'Irak"
sans toutefois passer à l'action, comme le fera vingt-neuf ans plus
tard Saddam Hussein. L'aventure koweïtienne de Kassem ne restera pas
sans riposte. Dès l'annonce de l'annexion en juin 1961, 5 000 soldats
britanniques débarquent dans l'Emirat."
Majed Nehmé, déjà cité.
"Le gouvernement américain affirme qu'il
agira fermement pour maintenir notre position au Koweït. Eux-mêmes
sont disposés à agir avec la même détermination
pour ce qui est des champs pétroliers de l'Aramco dans la région
de Dahran (...) Ils présument que nous garderons également
Bahreïn et Qatar, quoi qu'il advienne. Ils sont d'accord : ces champs
pétroliers doivent coûte que coûte être maintenus
dans les mains occidentales..."
Câble envoyé le 19 juillet 1958,
de New York à Londres par le secrétaire britannique aux Affaires
étrangères, Selwyn Lloyd.
Source: cité par Micah L. Sifry, The Nation,
11 mars 1991.
Le journal
Le Monde
, 27 juin
1961
"Si Bagdad contrôlait les gisements
du Koweït, l'Irak pourrait non seulement dicter sa loi dans le golfe
Persique, mais aussi jouer un rôle déterminant sur le marché
pétrolier mondial."
Ceci montre bien que l'ennemi de l'Occident n'est pas Saddam Hussein, mais a toujours été l'Irak même.
En fait, les médias devaient gommer toute cette longue résistance irakienne à un injuste partage colonial afin d'implanter le mythe du méchant Saddam Hussein, source de tous les problèmes...
Le principe de l'autodétermination?
En fonction de quel principe convient-il de considérer
le cas du Koweït? L'autodétermination de ses habitants (ou
plutôt d'une petite partie de ceux-ci)?
Dans l'absolu, l'autodétermination est
évidemment souhaitable, mais ce principe n'est pas à l'abri
de manipulations par des pays puissants, "disposant" de minorités
dans de petits pays et s'en servant pour dominer ceux-ci. Un bon exemple:
Hitler, que certains aimaient évoquer dans cette crise, se servit
du droit à l'autodétermination des Sudètes, minorité
germanophone, pro-allemande, de Tchécoslovaquie pour affaiblir,
puis faire main basse sur ce pays. Et que disaient alors les "Munichois"
qui capitulaient devant Hitler? Ils prônaient le droit à l'autodétermination
des Sudètes.
Si le tiers monde a dû lutter avec acharnement
pour son autodétermination, et cela contre l'Occident, il revendique
aussi le droit à l'intégrité territoriale. L'Argentine
réclame à la Grande-Bretagne la restitution des Malouines
que celle-ci occupe en tant que puissance coloniale. Le Congo a lutté
contre la sécession katangaise mise sur pied par certains intérêts
occidentaux. Les exemples sont nombreux où l'Occident manipule une
prétendue autodétermination pour favoriser ses intérêts
propres. L'impérialisme britannique, sans doute un des plus grands
violateurs du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, laissa
sur son passage des bombes à retardement afin de maintenir sa domination
: Irlande du Nord, Hong-Kong, Malouines, Rhodésie, Afrique du Sud,
Koweït... De quel droit donne-t-il des leçons sur l'autodétermination?
Les occidentaux qui, ici, défendent si
noblement l'autodétermination, ont-ils oublié comment leurs
propres Etats se sont formés? Par des annexions de force, pour la
plupart: Allemagne bismarckienne, Italie sous Victor-Emmanuel, la France
annexant la Bretagne ou la Corse. Quant à la conquête de l'Ouest
qui constitua les Etats-Unis, ce fut tout sauf un référendum!
Entendons-nous bien. Il ne s'agit nullement de
prôner la remise en question de toutes les frontières établies:
ce serait multiplier les possibilités d'ingérence. Simplement,
il y a quelque hypocrisie de la part de l'Occident à vanter l'exemple
de ses sociétés prospères et "démocratiques",
en interdisant au reste du monde de suivre la même voie que lui pour
constituer ses Etats.
Le Koweït est-il un pays arabe?
Théoriquement, oui. Géopolitiquement non, c'est un pays occidental, une tête de pont du Nord. Quel serait l'intérêt de l'ensemble des pays arabes? Produire moins de pétrole, au meilleur prix, et garder des réserves. Or, le rôle du Koweït et des autres pétromonarchies est précisément le contraire: empêcher que le pétrole serve les intérêts arabes. En investissant en Occident, les émirs deviennent peu à peu acheteurs autant que vendeurs. Ils ont donc intérêt à la surproduction, à casser l'OPEP. Même si cette stratégie laissera des centaines de millions d'Arabes sans ressources dans une ou deux générations.
L'histoire? Pas le temps!
Alain Gresh est coauteur de "Golfe: clefs pour
une guerre annoncée". Ce livre, paru début 1991, et largement
cité ici, expliquait l'histoire de la région et permettait
de comprendre les origines du conflit :
"Notre livre a reçu une assez bonne couverture
médiatique, en tout cas dans la presse écrite. Même
les journalistes TV qui feuilletaient notre livre, trouvaient cette démarche
très intéressante.
Mais il y a une contradiction curieuse: dans
la suite de la couverture de la guerre, on n'a tiré aucune conséquence
de ce livre, c'était comme un coup d'épée dans l'eau.
Ces journalistes, c'est vrai, n'ont pas le temps de lire tout ça,
ne prennent pas le temps de réfléchir, d'analyser. Les médias
fonctionnent sur la rapidité. Résultat, ils retombent sur
les idées dominantes.
L'histoire est tout à fait méconnue
dans nos médias. Moi-même, j'ai conclu qu'il ne servait à
rien d'aller dans certaines émissions TV: par exemple, à
7 heures ou 8 heures du matin, vous restez deux heures sur le plateau,
pour répondre à trois questions idiotes et quand vous voulez
ajouter quelque chose, c'est fini, il n'y a plus le temps.
Entretien avec l'auteur.
Les Occidentaux jouent la carte des émirs
et des cheikhs, mais ceux-ci ne sont déjà plus des Arabes.
Economiquement et politiquement, ils font partie du Nord. Il est très
utile pour celui-ci de disposer dans le tiers monde de telles "minorités"
entièrement identifiées à sa cause (Israël en
est une autre). Qu'aurait-on dit si Saddam Hussein avait chassé
les koweïtiens et les avait remplacés par des Irakiens qui,
ensuite, se seraient "librement" autodéterminés pour le rattachement
à l'Irak?
C'est exactement ce que l'Occident fait en Israël.
Mais cet Etat, basé sur l'annexion, est qualifié de "seule
démocratie de la région"...
Qu'aurait-on dit si, dans la Belgique du 19ème
siècle, une série de bassins charbonniers étaient
restés sous le contrôle de seigneurs féodaux, régnant
en despotes sur de petites principautés "indépendantes",
mais en fait complètement soumises à des intérêts
étrangers? Or, c'est ça le rôle du Koweït. Comme
le dit un opposant irakien: "les Koweïtiens eux-mêmes voulaient
faire partie de l'Irak avant de devenir milliardaires." Maintenant que
l'Occident a littéralement acheté une petite couche de priviliégiés
du monde arabe, il se bat pour leur droit à l'autodétermination.
En fait, il se bat contre l'autodétermination économique
de l'ensemble du monde arabe.
Se battre pour le moyen âge et l'apartheid?
Un des thèmes essentiels de la campagne
médiatique fut: l'Irak est une dictature abominable. Si l'Irak est
une dictature, comment faut-il qualifier le Koweït ou l'Arabie Saoudite?
Des dictatures brutales, pire: des Etats féodaux, une forme de gouvernement
particulièrement arriérée et détestée.
Il est vrai qu'un certain nombre de reportages
ont évoqué ces aspects "non démocratiques" du Koweït
ou de l'Arabie, parfois même en termes sévères. Mais
des reportages partiels et occasionnels ne suffisent pas pour que le public
occidental prenne conscience de la véritable dimension du conflit.
A savoir que l'Occident s'est battu pour le maintien de régimes
barbares et médiévaux. Le Koweït est en fait un Etat
féodal basé sur un apartheid: 80% de ceux qui composent sa
force de travail n'ont aucun droit de devenir des citoyens. Sur deux millions
d'habitants, il ne comptait en 1990 que 62 000 électeurs, tous mâles
(et dont le vote ne changeait de toute façon rien puisque le Parlement
avait été rapidement suspendu). La presse parlait parfois
de "démocratiser" le Koweït en donnant plus de pouvoirs au
Parlement, mais elle se gardait bien de réclamer que celui-ci soit
basé sur le droit de vote de toute la population.
D'ailleurs, lorsqu'en octobre 90, l'Irak commença
à proposer des compromis, des officiels américains évoquèrent
le danger d'un "scénario-cauchemar": l'Irak se retirerait du Koweït
et convoquerait des élections pour déterminer le futur statut
politique du Koweït. "Une telle action, écrivait le New York
Times, du 8 octobre 90, créerait une situation fâcheuse pour
les Sabah, la famille régnante du Koweït, et pour leurs supporters
américains et européens."
Pour éviter ce "cauchemar" démocratique,
l'Occident protège un apartheid féodal.
Les bons et les méchants
Désigner les bons et les méchants
se faisait de façon évidente en France mais, sur place, je
vous assure, les soldats du dispositif Daguet ne s'y trompaient pas. Certains
m'ont dit que, plus ils vivaient en Arabie Saoudite, moins Saddam Hussein
leur paraissait antipathique, parce qu'ils voyaient comment les Saoudiens
traitaient leurs immigrés. Lors des attaques nocturnes, j'ai vu
des Pakistanais se mettre un sac transparent sur la tête pensant
ainsi remplacer un masque à gaz qu'ils n'avaient pas les moyens
d'acquérir.
Source: Germain Chambost, grand reporter à
Sud Ouest, colloque Reporters sans Frontières,
13 février 1991.