Guerre: les médias font écran

"Si les gens savaient vraiment, la guerre serait arrêtée demain. Mais bien sûr ils ne savent pas et ne peuvent pas savoir."
                                                       Lloyd George, ministre britannique de la Guerre, 1914-1918
 

"On ne peut pas dire la vérité à la télé. Il y a trop de gens qui regardent."
                                                                                              Coluche

Comment l'administration américaine gère-t-elle l'information? Mark Hertsgaard, critique américain des médias, l'a magistralement analysé: "L'appareil de propagande de Ronald Reagan fonctionne, pour l'essentiel, à l'abri des regards indiscrets: tous les matins se réunit à la Maison-Blanche un groupe fermé, chargé d'arrêter le "ligne du jour" qui sera ensuite communiquée à la presse; ce groupe téléphone régulièrement aux responsables de chaînes pour influencer leur présentation des journaux télévisés du soir, ou, plus discrètement, fait prendre des décrets imposant d'extraordinaires mesures de secret administratif ou autorisant le FBI et la CIA à infiltrer la presse."
(Source: Comment la Maison-Blanche a manipulé les médias, in "La Communication victime des marchands", brochure du Monde Diplomatique, novembre 1988).
S'agit-il seulement de présenter le plus favorablement possible des faits existants, ou bien carrément de diriger l'information? "La prévision est la clef, telle est l'expérience de David Gergen comme de Michael Deaver, qui lui succéda à la direction de la communication après son départ en janvier 1984. La question essentielle est: qu'allons nous faire aujourd'hui pour améliorer l'image de marque du président, confie un participant. De quoi souhaitons-nous que la presse assure la couverture aujourd'hui, et comment?"
Ce marketing de l'information pousse le professionnalisme jusqu'aux moindres détails : "Michael Deaver savait comment exploiter au mieux l'image. Les journalistes reconnaissent en lui un "maître" dans l'art d'organiser des prises de vues flatteuses pour le président. Il sait parfaitement que les chaînes résistent mal devant une bonne image, surtout lorsqu'il s'agit du président. Pour la visite de Ronald Reagan dans la zone démilitarisée entre les deux Corées, en 1983, les journaux télévisés du soir, les quotidiens et les hebdomadaires ont été inondés d'édifiantes photos du chef du monde libre, revêtu d'un gilet pare-balles, observant les communistes avec ses jumelles. Michael Deaver s'était rendu au préalable sur place avec les représentants des chaînes afin de prévoir les moindres détails.
"J'ai pu voir sur le sol les marques indiquant où il devait se placer", rappelle une journaliste d'ABC News."
Se borne-t-on à présenter le plus beau profil du président? Non, selon Hertsgaard: "Si l'administration Reagan réussit bien mieux que ses devancières à diriger son appareil de propagande, c'est qu'elle a le sentiment, de droit divin, de pouvoir faire ce que bon lui semble en matière de manipulation."
L'élève Bush semble digne de son maître. Et les militaires américains ne sont pas à la traine. La guerre du Golfe a donc été gérée, dès le 2 août 90, comme une campagne de marketing. Magistralement réussie.

L'armée US applique le marketing
Le 10 février 91, le colonel (en retraite) Darryl Henderson de l'US Air Force analysait en expert la stratégie de l'armée américaine sur la plan de l'information...

"Il y a huit ans, l'armée américaine envoya d'importants officiers suivre des cours de marketing commercial (...) A présent, ils utilisent ces connaissances dans leurs briefings étroitement contrôlés d'Arabie Saoudite et du Pentagone afin de maintenir le soutien de l'opinion publique à la guerre du Golfe.
Les militaires savent, leçon chèrement apprise au Viêt-nam, qu'un soutien constant de l'opinion est essentiel au succès complet de leur stratégie. Bien des officiers supérieurs pensent que le public américain est mou et n'a pas les tripes pour encaisser les vilains côtés de la guerre. Ils pensent que le soutien serait affaibli par les images de soldats tués ou mutilés et les descriptions des tragédies du champ de bataille. (...) On peut éviter ceci en tenant la presse en laisse et en lui vendant la conception de l'armée sur la guerre.
Comment gérer les mauvaises nouvelles?
Il y a trois méthodes de base pour gérer les mauvaises nouvelles:
1) En restreignant leur accès.
2) En les présentant comme un incident isolé, explicable dans la confusion de la guerre.
3) En les étalant, en les filtrant de façon contrôlée sur un certain nombre de jours ou de semaines pour eviter un gros impact négatif.
Bloquer et contrôler les mauvaises nouvelles n'est pas toujours possible, surtout si de simples soldats sont au courant. Presque toujours, ils parleront, surtout si la presse a accès à leurs unités. Mais les règles actuelles des "pools" de presse dans le Golfe ont isolé la presse et le public de ces soldats. (...)
Les reportages récents sur la "bataille aérienne totalement couronnée de succès" mentionnaient la grande précision et l'efficacité des bombardements aériens en constatant avec enthousiasme qu'une mission caractéristique avait lancé 24 bombes et quitté la zone visée alors que 25 chars irakiens brûlaient. Deux jours plus tard, on mentionnait brièvement que les Irakiens trompaient les pilotes US en mettant le feu à des pots d'huile à côté de leurs chars.
Durant les deux premiers jours de guerre, lorsque la machine de marketing était à son point culminant, les briefings du Golfe dépeignaient une guerre high-tech sans gravité. Des vidéos du tonnerre montraient des bombes intelligentes frappant la cible de façon chirurgicale. La dangereuse Garde nationale républicaine irakienne était largement détruite. (...)
Il n'y avait pas de mauvaises nouvelles. La réaction du public US fut celle prévue. Le soutien à la guerre grimpa, pratiquement en une nuit, de 47 à 80%.
Quelques jours plus tard, les mauvaises nouvelles qu'on n'avait pu bloquer et faire oublier, commencèrent à filtrer. Le Pentagone signalait que les Irakiens utilisaient des leurres. Israël était frappé par des missiles Scud tirés de rampes de lancement que l'on avait dit détruite.
On reconnut brièvement que les forces aériennes alliées passaient une grande partie de leurs missions à bombarder des lanceurs de missiles en bois. Mais à ce moment, le missile Patriot avait été lancé sur le marché et les bonnes nouvelles, mais fausses, qui s'étaient transformées en mauvaises, avaient été remplacées. La même gestion de l'information fut employée pour l'étalement des mauvaises nouvelles concernant la Garde républicaine. (...)
A la troisième semaine de la guerre, le soutien de l'opinion reste solide, environ 78%. Le mérite en revient surtout à l'armée et aux efforts du Pentagone pour gérer l'information.

Clips publicitaires?
"Vous encaissez, page après page, des histoires sur telle ou telle haute technologie, des trucs qui fonctionnent à merveille, tout va bien, et qu'est-ce que c'est épatant! C'est un matériel très étrange. Ce n'est pas une couverture de la guerre, c'est vraiment des relations publiques du Pentagone. Les images d'armements, j'aimerais beaucoup savoir combien viennent de CNN même et combien ont été fournies toute prêtes par le Pentagone. Oui, je sais que le Pentagone dépense des centaines de millions de dollars à produire des films "public relations..."
Source: Interview de Molly Ivins, Propaganda Review, mars 91.
 

Face à cette manipulation organisée, comment réagissent les médias? Prennent-ils leurs distances, mènent-ils des investigations critiques afin de ne pas se faire rouler, avertissent-ils leur public?
Ce n'est qu'à cette condition qu'on pourrait les dire indépendants.

Prendre ses distances
Sur CNN (retransmis par la chaîne française M6), une psychologue américaine répond en direct aux appels. Pour analyser les répercussions des bombardements sur la population irakienne? Ces jeunes enfants traumatisés à vie par les bombardements, comme des études médicales l'ont montré ensuite?
Non, la psychologue américaine est là pour analyser et rassurer les téléspectateurs... américains:
-"Dès que j'entends une sirène dans la rue, raconte une voix angoissée de New York, je me crois à Bagdad."
-"Il faut prendre un peu de recul, ne pas se laisser trop impliquer", conseille la psychologue.
Ouf! Là-bas, c'est là-bas, et ici c'est ici. Le "village global" n'est qu'un slogan CNN. On ne va pas se mettre à la place des victimes, quand même!
Dialogue cité par Gérard Leblanc dans chronique de la vidéo'rdinaire, L'image vidéo, mars 91.

"Elle sera courte et propre."
Comme toutes les précédentes?
Dès le déclenchements des hostilités, quel produit était "vendu" par la Maison-Blanche? Le thème d'une guerre qui serait "propre et courte", ce thème était-il crédible? Il faut savoir que le Pentagone le ressort à chaque guerre. A chaque fois, y compris au Viêt-nam, les hostilités seront courtes, les bombardements seront chirurgicaux et le nombre de victimes sera réduit au strict nécessaire. A chaque fois, la réakité est différente. Un simple coup d'oeil sur les expériences précédentes aurait donc éclairé la question. Si les médias avaient fait montre d'un minimum de curiosité...
A Grenade, en 1983, alors que le général Schwarzkopf commandait, déjà, une "opération éclair", le Pentagone dut reconnaître, après coup, que 67 habitants de cette petite île (110 000 habitants) avaient été tués. Parmi eux, 21 patients d'un hôpital pour malades mentaux, victimes de la précision chirurgicale d'un bombardement US. En Libye, en 1986, le bombardement visant à tuer le colonel Kadhafi avait été si chirurgical qu'il avait détruit l'ambassade de France! En passant, il avait aussi tué entre 60 et 100 personnes selon les sources... A Panama en 1989, la "capture éclair" d'un seul homme dura plus d'une semaine et, pour capturer cet homme, les bombes américaines rasèrent des quartiers populaires, tuant entre 700 et 4 000 Panaméens (voir le chapitre: le précédent du Panama). Malgré quoi, le bilan officiel américain, fidèlement repris par les médias occidentaux, s'en tint obstinément au chiffre de 132 morts.

Lorsque, une fois de plus, on annonça une guerre du Golfe "propre et courte", les médias, à nouveau frappés d'amnésie (ou de complicité?) ne rappelèrent aucunement que le gouvernement et les militaires US avaient une longue tradition de mensonges en la matière. Pourtant, un épisode récent aurait dû les alerter. En septembre, le général Dugan, chef d'état-major de l'US Air Force, annonçait que "Bagdad devrait être détruite". Aveu gênant: à ce moment, Bush insistait sur sa recherche d'une solution pacifique. Mais, tout en limogeant sur-le-champ le maladroit, la Maison-Blanche n'avait nullement démenti sur le fond. Le 15 janvier 91, à la veille des bombardements massifs sur l'Irak, aucun média ne rappellera la prédiction du général Dugan...

L'erreur délibérée
Savoir si la guerre sera courte ou non n'est pas une question de pronostic erroné, ou de présentation trop favorable des événements. C'est bien plus important. Puisqu'une partie de l'opinion ne soutiendrait pas une guerre qui serait sanglante et longue, on lui cachera donc la réalité. Face à cette ruse, un média n'a pas trente-six attitudes possibles: ou bien il dénonce le mythe de la guerre propre et courte, ou bien il aide à le "vendre". A ce moment crucial pour les stratégies militaires et politiques, on voit si un média est indépendant.
Mais n'est-il pas maladroit, de la part du Pentagone, d'annoncer d'abord une guerre éclair, puis de devoir démentir? Pas du tout. C'est une manière délibérée de gérer l'information. Si l'opinion ne soutient qu'une guerre courte et indolore, on lui vendra ce qu'on lui a promis. L'enjeu est important. Durant la guerre de Corée et du Viêt-nam, lorsque le nombre de victimes passa de cent à mille, le soutient à la guerre baissa d'une quinzaine de points. Lorsqu'il passa de mille à dix mille, ce furent encore une quinzaine de points de perdus.
Outre qu'il s'agissait de décourager le soutien d'autres pays arabes, annoncer une guerre courte visait justement à éviter le débat politique: "à quoi bon discuter puisque c'est presque fini?" Dans une première phase, militaires et médias créent dans l'opinion l'impression de base: "Tout va bien". Et volant au secours de la victoire, le soutien grimpe sur-le-champ de 47% à 80%. Voilà à quoi a servi la couverture médiatique complaisante des 17 et 18 janvier 91.

Enfants marqués à vie
En été 91, deux spécialistes en psychologie infantile ont interrogé 341 enfants irakiens à Bagdad, Bassorah et dans tous le pays. Ils ont aussi analysé leurs dessins. "Nous avions travaillé précédemment au Mozambique, au Soudan et en Ouganda, mais nous n'avions jamais rencontré pareille situation. Combien de fois avons-nous entendu: "J'essaie de ne pas y penser, mais c'est impossible"?
Quelques constatations:
* 75% des enfants sursautent au moindre bruit, 50% vivent avec le sentiment que tout va recommencer.
* 62% ont d'énormes difficultés à se concentrer, 75% s'amusent moins qu'avant ou plus du tout en jouant ou en faisant du sport.
* "Ce qui nous a le plus frappés: le grave manque d'entrain, l'état dépressif profond des enfants. Leurs fonctions de connaissance sont ébranlées par la fatigue, le manque d'énergie, les problèmes de concentration, le stress."
Source: rapport de la commission internationale d'Harvard.

Les impressions de CNN
"Un si beau feu d'artifice"
Dans la nuit de Bagdad bombardée, trois reporters-vedettes, installés en lieu sûr (l'hotel Rachid), rivalisent d'inconscience et de vulgarité: "Ils raillent la passivité des Irakiens; ils s'étonnent que depuis une heure trente, l'armée irakienne les laisse poursuivre ce commentaire en direct. Ils finissent en éclatant de rire, en s'extasiant sur l'esthétisme du feu d'artifice, en devisant sur la qualité du repas..."
Cité dans Le Soir, 18/01/91.

Les impressions des victimes
La nuit du 17 janvier, l'attaque américaine a duré sans interruption de 2 h 30 à 9 h du matin. L'immeuble de la radio est situé à côté de chez moi, il a été complètement détruit. De même qu'un hôpital avec des médecins étrangers, des infirmières hollandaises, anglaises qui y travaillaient. Les médias ne vous en ont jamais parlé. Trois stations de télécommunications ont été anéanties ainsi que les bâtiments du ministère de la Justice. Tout à côté, des habitations, des quartiers populaires ou modernes ont été rasés (...) Tout le monde essayait de se cacher. Ceux qui avaient le luxe comme nous d'avoir des abris y sont descendus, les autres étaient obligés de rester chez eux ou de courir dans les rues. C'était une hécatombe qu'on ne peut pas décrire. Une nuit de cauchemar que je ne peux oublier. Est-ce possible que les Américains puissent faire des choses pareilles?"
Cité dans Solidaire, 21 mars 1991.
 

Dans une deuxième phase, on annonce que ce ne sera pas si facile. Mais cette correction légère ne modifie pas l'impression de base. Le thème "ce sera quand même difficile" servira alors à justifier l'emploi de moyens énormes. On pourra même exagérer dans ce sens, par exemple avec le mythe des fortifications infranchissables. Et prévoir une bataille terrestre très dure alors qu'on sait que les premières lignes irakiennes sont en totale décomposition et que les troupes les plus valables se sont déjà retirées. Bref, les pronostics ont peu à voir avec la réalité, mais beaucoup avec la façon de manipuler l'opinion.

Quelques années plus tôt, un esthète éprouvait une émotion artistique comparable aux émois de CNN devant le feu d'artifices de Bagdad: "C'était amusant de voir un groupe de Galli s'épanouir comme une rose après que j'eus lancé une bombe au milieu d'eux." Les Galli étaient une tribu éthiopienne et l'aviateur esthète s'appelait Vittorio Mussolini, fils de Bénito, décrivant en 1937 sa guerre contre le peuple éthiopien comme "le plus beau et le plus complet de tous les sports". Bien entendu, tout est question de point de vue, et ces émerveillements esthétiques ne sont possibles qu'à haute altitude ou si l'on est soigneusement à l'abri. Au ras du sol, on ressent seulement le souffle des bombes, le sang et la terreur.
Aucun des médias dominants ne dira tout cela dans la nuit du 16 au 17 janvier 91, ni le lendemain, ni plus tard. On parlera tout au plus d'un important tonnage de bombes, mais les chiffres, c'est abstrait et puisqu'on nous assurait que de toute façon les objectifs étaient militaires...
Le numéro du 24 janvier de Paris-Match résume, jusqu'à la caricature, cette première image de la guerre. Au total, dix-neuf photos: une des dirigeants américains, une de Mittérrand, une de Perez de Cuellar, quatre de soldats alliés avec des armements et douze montrant uniquement des armements (avions, chars, missiles...) Rien d'autre.

La souffrance d'hommes, de femmes et d'enfants bien réels était réduite à un beau "spectacle". "Le plus beau feu d'artifice que j'ai vu depuis la fête nationale", s'extasiait un pilote US, au retour de son raid. Un bon produit télé, faisant grimper l'audience de CNN dans les hôtels et les bars du monde entier... Choqué, un journaliste indien titrera même son papier: "Prenez un verre, et regarder Bagdad brûler"... Source: P. Sainath, "Have a drink, watch Bagdad burn", 03/02/91.
Un immeuble s'effondre? "Une autre pizza, s'il vous plaît!" Il y a des gens en-dessous? Ceci est absent des comptes rendus style "feu d'artifice"... Monstrueux mensonge qui tue les gens une deuxième fois. Représenter la guerre comme si les gens n'en mouraient pas, n'est-ce pas se rendre complice?

Le célèbre reporter de guerre Frank Capa disait: "Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c'est que vous êtes trop loin." Cette couverture médiatique était mauvaise parce qu'elle était filmée entièrement du point de vue de l'Occidental, du haut de sa supériorité économique, militaire et technologique, très loin de la misère et de la souffrance réelles.
Mais en-dessous du feu d'artifice, des hommes, des femmes et des enfants souffraient. Le reporter du Los Angeles Times fit l'effort d'aller à Amman interviewer des réfugiés de Bassorah: "Un cauchemar infernal d'incendies et de fumées si denses que des témoins affirment que le soleil n'a pas été nettement visible. Pendant plusieurs jours d'affilée, les bombes rasent des pâtés entiers de maisons... Il y a des cratères de bombes de la taille d'un terrain de football et un nombre inconnu de victimes. Il y a peu d'eau à boire."
Amina Kayed, une Palestinienne qui a réussi à fuir Bagdad, raconte: "Les enfants pleuraient tout le temps. J'ai cru qu'ils allaient mourir de peur. C'était l'enfer. Le ciel devenait complètement rouge, bleu et orange. Il y avait du feu partout à Bagdad. Notre maison tremblait. Nous-mêmes nous tremblions."

Cacher les souffrances
En fait, ce n'est pas un hasard si les bavardages sur le beau feu d'artifice remplacent l'évocation des souffrances. Si 1 400 envoyés spéciaux n'avaient rien à nous dire sur la guerre, c'est parce que le rôle assigné aux médias était de cacher, et non de montrer, une réalité génante.
Les médias ont fait écran.

Si les sondages avaient posé brutalement la vraie question: "Etes-vous d'accord qu'on tue des milliers d'Irakiens, pour garder le contrôle du pétrole", quels auraient été les résultats? On dira sans doute que l'idéologie "profitons du Sud sans nous poser trop de questions" a été largement répandue. Mais les gens ne sont pas des monstres et si la vraie guerre était montrée, elle ne pourrait continuer longtemps. Donc, on ne pouvait montrer ses conséquences humaines. Ou alors, exceptionnellement, avec un encadrement qui en atténue l'impact. Quelques exemples...
TF1 refusera tout d'abord de présenter les premières images de blessés irakiens, puis les montrera mais en veillant à les "neutraliser".

Montrer les blessés irakiens?
Dominique Bromberger (TF1):
"Prenons l'exemple des premiers blessés irakiens. Ces images nous sont parvenues un lundi matin. Notre équipe du matin a décidé de ne pas les montrer estimant qu'elles faisaient partie de la  propagande irakienne (TF1 s'est-il demandé s'il devait ou non diffuser des images qui "faisaient partie de la propagande américaine"?). A treize heures, nous avons décidé de les diffuser (...) il fallait montrer ces images dans la mesure où elles étaient un élément d'information (Ou bien parce que de toute façon d'autres chaînes les montreraient?) et à condition de savoir les mettre en perspective. Ce sont des images à manipuler d'une façon particulière (C'est-à-dire pour empêcher le public de s'émouvoir?) car elles ont un caractère émotionnel. Et là, nous faisons complètement notre travail de journalistes."
Source: Au débat "La presse en état de guerre", Reporters sans Frontières, p. 43.

La télévision américaine NBC a carrément refusé de diffuser un reportage réalisé à Bagdad, début février, par un professionnel, Jon Alpert. Pourtant, celui-ci, cameraman réputé, honoré de nombreuses distinctions, travaillait régulièrement pour NBC. La direction de la chaîne refusa systématiquement de se justifier et rompit même toute relation avec Alpert.
Un critique américain, Alexander George, a analysé les méthodes par lesquelles le New York Times enterrait toute information sur les victimes irakiennes. En parler rarement, toujours brièvement et à l'intérieur d'un article traitant d'un autre sujet. Titrer l'ensemble non sur les victimes, mais sur un autre sujet. Ainsi, l'info enterre les morts une seconde fois...

Le spectateur occidental est prié de diviser son esprit dans une parfaite schizophrénie. D'un côté, nous savons que nos armes, merveilles de la technologie occidentale, sont faites pour tuer. De l'autre côté, nous ne voulons pas supporter la vue de la douleur qu'elles provoquent à l'arrivée. Les victimes doivent donc rester hors de notre vue. Le symbole parfait de cette schizophrénie, c'est le surnom donné au missile Cruise: "Fire and Forget" (tirez et oubliez). Vous tirez, le missile continue sa course meurtrière, mais vous n'y pensez déjà plus, vous êtes ailleurs...

Un langage qui efface la mort
Les communicateurs militaires ont mille mots savants chargés d'enjoliver le verbe tuer. Il y a, par exemple, la gamme médicale qui transforme le bombardement en une "opération chirurgicale".
Langue de mauvaise foi puisque la chirurgie sert à sauver des vies alors qu'ici, il s'agit du contraire.
Langue qui déshumanise: l'Autre est assimilé à un cancer, une tumeur qu'on arrache.
D'autres métaphores rabaissent l'ennemi au niveau de l'animal : "C'est à peu près, raconte un officier de l'US Air Force revenant d'un raid, comme lorsque vous allumez dans la cuisine, tard dans la nuit, et que les cafards décampent dans tous les sens, et nous finalement on a pu les dénicher et les tuer."
Aucun média ne s'interrogea sur la valeur de ce nouvel ordre mondial dont les héros rabaissaient leurs adversaires au niveau des insectes les plus méprisés. Source: Le lieutenant-colonel Dick White
(US Marines). Cité par Robert Fisk, The Independent, repris dans De Morgen, 09/02/91.
Plus haut dans la hiérarchie, les procédés de langage sont plus distingués mais nient toujours l'autre. A commencer par le célèbre "dommages collatéraux", un terme lancé au Viêt-nam, repris par Colin Powell et tous les communiqués militaires. Mot tellement incompréhensible et malhonnête que bien de journaux l'entourèrent de guillemets. Cela suffisait-il à rendre la mort concrète? Une seule fois, il sera impossible à l'appareil militaro-médiatique d'empêcher les cadavres de faire irruption avec impudeur sur les écrans: lors du fameux bombardement de l'abri civil de Bagdad. Pris de court, des médias occidentaux iront jusqu'à taxer ces morts de "propagande irakienne"! Pour une fois que la propagande occidentale n'avait pas réussi à les tenir à l'écart! C'est le monde à l'envers! Mais d'autres procédés réussiront à neutraliser l'impact de ces cadavres indésirables, nous le verrons au chapitre suivant.

Leçon de langue

Ne dites pas:
Un avion allié jette des bombes sur des êtres humains irakiens.
Dites: Il fait une "sortie"
Ne dites pas: Nous avons tué des civils.
Dites: Il y a eu des "dommages collatéraux"
Ne dites pas: Première phase de la guerre
Dites: " Opération Bouclier du Désert"
Ne dites pas: Stations d'eau, ponts, usines alimentaires
Dites: "Appareil militaro-industriel"
Ne dites pas: Tuer des ennemis.
Dites: "Traiter" une cible

                            Adaptez votre langage

S'il s'agit de l'Irak...                               ...ou des alliés

Les troupes de Saddam                                      Les Marines américains
L'Irak envahit brutalement le Koweït                   Les USA "interviennent" au Panama
Le régime irakien                                                L'Arabie Saoudite, le Koweït
La politique pro-irakienne de l'OLP                    L'attitude "modérée" de l'Egypte
L'alignement de la Jordanie sur l'Irak                   La solidarité de la Belgique avec ses partenaires
                                                                          de l'OTAN
 

La mise en scène remplace la guerre
A quoi ressemble la guerre réelle? "Volant à plus de 10 000 mètres d'altitude, les B-52 arrivent sans êtres vus ni entendus par les troupes au sol. Brusquement, le bruit est assourdissant et tout est bouleversé", se souvient Carl Bernard, ancien officier américain au Viêt-nam. "C'est un horrible tremblement de terre que l'on n'oublie jamais." Et Paul Hoven, pilote d'hélicoptère durant la même guerre : "On aurait dit que la terre avait été retournée tous les 10 mètres par une spatule de 100 mètres de large. Les arbres avaient disparu, la terre était noircie, et il y avait des débris humains partout.

Ces souvenirs réalistes gênent? Au lieu de les rappeler (puisqu'il paraît qu'on "manquait de matériel"), les médias ressasseront indéfiniment le même mise en scène. D'abord, les clips publicitaires fournis gracieusement, mais pas de façon désintéressée, par le Pentagone et les fabricants d'armes. Puis, la super-fiction du missile intelligent ne détruisant que sa cible sans tuer personne inutilement. Comme l'indique le journaliste américain John Leo (un partisan de la guerre): "La première image de la guerre aérienne, montrant une bombe intelligente cherchant sa cible et détruisant une installation à Bagdad a sans doute réglé définitivement la question des dommages collatéraux. Aucune révélation ultérieure sur l'imprécision des attaques aériennes n'aurait pu effacer cette image puissante d'un bombardement
précis et la charge émotionnelle qu'elle a apportée à la guerre."
Quand il sera trop tard, les médias auront beau jeu d'indiquer que, "bien sûr, comme chacun sait, aucune guerre n'est propre, etc..." La vraie question était: comment des journalistes ont-ils pu diffuser un tel type de mythe? Parce que cette tromperie était nécessaire pour que les militaires américains puissent mener leur guerre?

Guerre contre la population
"Nous ne voulons pas détruire l'Irak", avait déclaré George Bush. Militaires et médias répétaient donc que les objectifs visés étaient strictement militaires, le reste n'étant que bavures regrettables. Aucun média ne souleva d'objection sérieuse. En demandant, par exemple, en quoi le bombardement programmé du ministère de la Justice ou celui des administrations locales constituait une action militaire. Ou bien en faisant remarquer que l'utilisation des B-52, volant à très haute altitude, pratiquant le "carpet bombing" (bombardement en tapis, donc à l'aveugle) entraînait fatalement des dégâts civils. De telles remarques ne furent formulées que tardivement et discrètement, pas au moment où elles auraient pu contrer le mythe de la guerre propre.
De toute façon, la vérité gênait. Quand Ramsey Clark, ancien ministre US de la Justice, revenu d'un voyage en Irak, démontra que la population civile était également visée, que firent les médias?
Ils censurèrent le témoignage de Clark! Pourtant, certains experts américains admettaient, en privé, qu'effectivement, la stratégie américaine était de faire souffrir la population irakienne dans l'espoir qu'elle renverse Saddam Hussein. Etait-ce nouveau, d'ailleurs? "Dans tout conflit, on en arrive toujours à démoraliser la population civile dans l'espoir qu'elle se coupe de son armée; dans toute guerre, on bombarde les familles (Coventry en Angleterre, Dresde en Allemagne, Hiroshima et Nagasaki au Japon, les villages afghans, Hanoï au Viêt-nam, la guerre des villes Iran-Irak)."
Non, ce n'était donc pas nouveau. Mais le reconnaître aurait obligé les médias à expliquer pourquoi on bombardait une population irakienne qu'on prétendait libérer de la tyrannie!

Tricherie
"Le général Schwarzkopf (qui dirigeait l'opération "Tempête du Désert", donc, la guerre du Golfe.) a montré des images spectaculaires, réalisées avec une caméra infrarouge d'une attaque sur ce qu'il affirmait être des rampes de lancement de missiles Scuds, quelque part sur la route entre Bagdad et Amman.
Malheureusement pour lui, de nos jours, certains téléspectateurs aussi disposent de la technologie de pointe. Celui qui rendait positives les images montrées en négatif, y voyait des choses qui  ressemblaient beaucoup à des camions pétroliers et très peu à des Scuds (à moins que ceux-ci aient été si bien déguisés que même les caméras thermiques les représentent sous la forme de camions pétroliers). Le même soir, justement, CNN montrait des images d'Amman de camions pétroliers jordaniens attaqués par les avions alliés..."
Source: Marc Holthof, Un nouveau genre: le vidéoclip militaire, in revue Andere Sinema, mars-avril 1991.

Guerre à retardement
A part l'abri civil, les bombardements de Bagdad semblent avoir été terrifiants, mais généralement précis et ne pas avoir visé systématiquement la population civile. Parce qu'à Bagdad se trouvaient
rassemblés quelques journalistes occidentaux dont les témoignages auraient été gênants?
En conséquence, certains médias, se limitant volontairement à cette ville, ont maintenu la thèse de la guerre chirurgicale. Mais c'est ignorer qu'en province les bombardements ont été beaucoup plus importants et meurtriers. Et puis, surtout, la guerre la plus meurtrière n'a-t-elle pas été menée "à retardement"?

Détruire ce qu'on appelait "appareil militaro-industriel" était la tâche fixée. Encore un piège linguistique. Mot-valise où chacun place ce qu'il veut. La mise en avant du terme"militaire", la position subordonnée du terme "industriel" visent à faire croire qu'on s'en prendra uniquement aux objectifs militaires et aux infrastructures industrielles qui soutiennent l'armée. En réalité, "industriel" permet un glissement équivoque. Car il s'agit bien de bombarder des objectifs civils qualifiés de militaires pour la circonstance: approvisionnement d'eau, égouts, système énergétique, ponts et toute l'infrastructure en général. Le résultat, attendu, fut la destruction effective du système sanitaire.

Tuer directement un trop grand nombre de civils irakiens provoquerait des réactions dans l'opinion arabe et internationale. Alors, on les tue à retardement, à petit feu. Et les médias, discrets, parlent de guerre propre. Les journalistes, qui travaillent toute la journée sur les mots, n'ont-ils pas repéré la malhonnêteté de ce terme "appareil militaro-industriel"? Exemple type des mots piégés que les militaires lancent, que les médias ne réfutent pas et qui permettent de tromper le public sur la réalité des objectifs. Quels seront les "mots-valises" de la prochaine guerre?

Les alliés ont mené une guerre à retardement. L'impact sur la population irakienne ne peut s'apprécier en considérant uniquement les dégâts encourus jusqu'au cessez-le-feu. Ecoutons le témoignage du docteur américain Louise Cainkar, visitant l'Irak en mai 91:
"J'ai vu un hôpital rempli de tout jeunes enfants brûlés. Leurs petits corps sont brûlés de la tête aux pieds. Et ils n'ont aucun moyen de traiter ces bébés. Le traitement normal consiste à les immerger dans une sorte de bain et à les enduire d'une lotion. Ils n'ont rien de tout ceci. Les hôpitaux sont sans médicaments (suite à l'embargo économique), sans équipement médical, sans eau. Comment des chirurgiens peuvent-ils réaliser une opération s'ils ne peuvent rien nettoyer? Ils ont peu ou pas d'électricité, ils n'ont plus de réfrigération pour conserver du sang, il y a de graves épidémies de choléras, de méningites, de typhus et d'hépatites. Les bombardements chirurgicaux ont été pratiqués de façon à ce que chaque Irakien en souffre. C'est pire que le bombardement au hasard. C'est comme de la neuro-chirurgie: ils ont enlevé le cerveau d'une nation entière. Ainsi, les fonctions que doit diriger le cerveau s'effondrent tout simplement. Ceci est une nouvelle sorte de guerre et il faut la considérer tout à fait différemment. Je l'appelle guerre biologique. Tous les décès ne sont pas encore survenus. Combien de gens continueront à mourir chaque jour? Vous savez bien qu'en détruisant l'infrastructure, vous répandez les maladies." Source: The Guardian (USA), le 15/05/91.
Aucun média occidental n'a expliqué cette stratégie américaine de "guerre biologique"?
Aucun n'a indiqué qu'une telle stratégie constituait un crime de guerre aux regards des conventions internationales...

Une guerre morale?
"Notre cause est juste, notre cause est morale", avait affirmé Bush au départ de la guerre. Une affirmation non remise en cause part les médias. N'aurait-on pu se poser des questions, pourtant, sur la moralité de cette guerre en entendant un officiel US dire: "Les Etats-Unis et leurs alliés peuvent "transformer Bagdad en une aire de parking" comme l'a dit récemment un diplomate américain du Moyen-Orient. Mais de nombreux experts sont de plus en plus préocupés par l'effet probable d'une telle victoire sur les intérêts américains à long terme dans la région. Beaucoup d'Arabes seraient profondément offensés par une campagne qui tuerait un grand nombre de leurs frères musulmans..."
Cité par Judith Miller, spécialiste du Moyen-Orient du New York Times.
Si l'on comprend bien, ce n'est pas pour des raisons morales, mais seulement pour des raisons tactiques que Bagdad n'a pas été transformée en aire de parking? Dans le même genre de hautes considérations, pourquoi aucun média ne s'est-il demandé s'il était "moral" d'affirmer, comme le fit le général Germanos, chef du service de presse des armées françaises: "Est-ce que nous avons à savoir combien il y a de morts?" Cité dans L'Humanité, le 25/01/91.

Le Show du général Schwarzkopf
Conférence de presse. Schwarzkopf montre "l'homme le plus heureux d'Irak aujourd'hui": un chauffeur de camion qui vient d'échapper au bombardement du pont sur lequel il se trouvait. La salle rit. Quand on partage les mêmes valeurs, on rit des mêmes plaisanteries. Et personne ne demande impoliment pourquoi le général ne montre que les images des raids réussis (l'armée US filme tout, les images existent donc mais sont classées top secret).
Personne ne lui demande non plus, au général, pourquoi l'armée US "qui ne veut aucun mal au peuple irakien" utilise des bombes à fragmentation, dont la fonction n'est pas de tuer les militaires, mais de causer des blessures et des souffrances "gratuites". Une arme pour terroriser la population. Pratiquement jamais de questions gênantes. Ce n'est pas une véritable conférence de presse, mais un show bien minuté. Une mise en scène aux méthodes hollywoodiennes. Et fidèlement relayé par nos médias.
 
 

Ramsey Clark, ancien ministre US de la Justice:
"Les USA violent les conventions internationales et la résolution de l'ONU"

Du 2 au 8 février 91, Ramsey Clark, qui fut ministre de la Justice des USA, a visité l'Irak.
Il entendait juger dans quelle mesure la population civile y souffre de l'embargo et des bombardements. Il était accompagné d'une équipe vidéo, d'un guide et d'un interprète. Ce témoignage à été complètement passé sous silence par les médias dominants.

En sept jours, nous avons parcouru 3 000 km. Partout où nous sommes allés, nous avons vu les quartiers résidentiels et les bâtiments collectif gravement endommagés. Dans chaque ville, dans chaque commune visitée, l'approvisionnement en eau, l'électricité et le téléphone étaient hors d'état de fonctionner. Dans certains quartiers de Bagdad, l'eau est encore fournie une heure par jour. Les conséquences sont terribles sur le plan des soins de santé et de la situation sanitaire. Des dizaines de milliers de gens souffrent de diarrhée ou d'autres maladies du système digestif. On nous a dit que des centaines de milliers de malades n'étaient même pas enregistrés.

Opérer à la bougie
Dans les villes, les communes et à la campagne, il n'y a pas d'électricité, sauf dans quelques hôpitaux qui ont leur propre générateur. Dans la plupart des salles d'opération, on travaille sans éclairage. Les médicaments manquent. Même les anti-douleurs. Leur besoin se fait sentir d'autant plus à mesure qu'augmente le nombre de malades et de blessés.
Les médecins et le personnel doivent travailler sans gants et sans pouvoir se laver régulièrement leurs mains. Sept hôpitaux ont déjà été obliger de fermer après plusieurs bombardements.
Les écoles sont fermées. Le téléphone ne fonctionne plus. Les transports public sont quasi inexistants. L'essence est rare. Routes et ponts sont constamment bombardés. On ne peut suivre les émissions de la radio qu'avec un appareil à piles.
Les raids nocturnes, les hurlements des sirènes, le vacarme des tirs aériens et les chocs des bombes provoquent une grande angoisse. Mais ce sont surtout les enfants et les personnes aux nerfs sensibles qui en souffrent terriblement. Selon le ministère de la Santé, les directions des hôpitaux et le Croissant-Rouge, il y a augmentation des accidents domestiques, des dépressions nerveuses, des états de choc, des crises cardiaques et des fausses couches.
Quartiers résidentiels de Bassorah
Nous avons visité cinq quartiers différents de Bassorah.
1) Un quartier résidentiel habité par des gens des classes moyennes a été très endommagé par un bombardement, le 31 janvier, à 21h30, tuant 28 personnes, blessant 56 personnes, détruisant 20 maisons et 6 magasins.
2) Un autre quartier résidentiel a été frappé par trois bombes le 22 janvier. 15 maisons détruites, 40 blessés mais heureusement aucun tué.
3) Un autre quartier résidentiel a été bombardé le 24 janvier, 8 tués et 26 blessés, trois maisons détruites, de nombreuses autres endommagées.
4) Un quatrième quartier résidentiel a été touché le 4 février, à 02h35 du matin. 14 personnes y ont perdu la vie, 46 ont été blessées. 128 maisons et appartements ont été détruits. Partout, des bombes anti personnelles ont été lancées. Des témoins nous ont montré des fragments de la "bombe-mère" laquelle contenait plusieurs petites bombes à fragmentation.
5) Le 28 janvier, 18 blocs d'habitations d'un grand quartier de logements sociaux ont été entièrement détruits ou très gravement endommagés, 46 personnes ont été tuées, 70 blessées. Deux écoles ont été également touchées. De nombreux témoins nous ont raconté, et nous avons pu le vérifier en traversant nous-mêmes Bassorah, que de nombreux autres quartiers résidentiels avaient été touchés et que les cinq quartiers que nous avons filmés ne représentaient qu'une petite partie de l'ensemble des dégâts causés aux objectifs civils. Sur la place du marché, une bombe avait provoqué un énorme cratère, détruisant un bâtiment et une rangée de commerces. Bilan, 8 tués et 40 blessés. Nous avons visité les ruines de la mosquée Al-Makal. Une famille de douze personnes y avait cherché refuge. Dix d'entre elles ont été ensevelies.

Petites villes
Dans la petite ville de Diwaniya, nous avons vu les mêmes destructions d'objectifs civils. Au centre-ville, la poste, les bâtiments et les émetteurs de la radio et de la télévision étaient détruits. Ainsi que, aux alentaours, trois petits hôtels de 30 à 50 lits, des cafés, des bureaux, des cabinets de médecins et d'avocats. En tout, 12 morts et 35 blessés à cet endroit.
En dehors du centre, quatre quartiers résidentiels avaient aussi été bombardés, 23 personnes tuées.
Deux écoles gravement endommagées. Une installation d'irrigation détruite.
Notre équipe et aussi des journalistes ont vu dans les villes d'Hilla, Najaf et Nasseriya des dégâts importants dans des quartiers d'habitations et des destructions d'hôpitaux. Une petite ville avait été bombardée quelques minutes avant notre arrivée. Nous n'y avons pas vu la moindre trace d'installation militaire.

Pas de prétexte militaire
Nous avons parcouru 3 000 km de rues et d'autoroutes. Nous avons vu des centaines d'épaves de véhicules: des camions dont certains transportaient du pétrole, des tracteurs, des autobus, un mini-bus, un taxi et de nombreuses voitures privées. Tous atteints par des bombes ou des tirs. Nous n'avons trouvé aucune preuve que ces véhicules aient transporté du matériel militaire. Sur le bord de la route, nous avons vu diverses raffineries en feu et d'innombrables stations d'essence détruites. Tout comme dans les quartiers résidentiels que nous avons visités dans de nombreuses villes, nous n'avons vu aucun véhicule militaire endommagé ou détruit. Aux alentours, on ne remarquait aucune présence militaire. Pas un témoin, pas un journaliste ne nous a parlé d'une éventuelle présence des convois militaires autour des objectifs civils atteints. Il est risible de prétendre que l'équipement militaire soit caché dans des quartiers civils afin d'échapper aux bombardements. On ne dit cela qu'afin de justifier des bombardements sur des objectifs civils.

Une commission indépendante enquête...

"Dans le sud, les observations sont tout autres (qu'à Bagdad) et confirment les déclarations du colonel Mc Peak, chef de l'US Air Force, suivant lesquelles:
- 7% seulement des bombardements ont été effectués avec des "armes intelligentes";
- 70% des objectifs ont été manqués, et donc les bombardements renouvelés à plusieurs reprises (...)
On distingue aisément les armes utilisées au cours de la guerre civile (armes automatiques et roquettes) de celles utilisées par la coalition (bombes de 250 kg et plus, laissant des cratères d'un diamètre supérieur à trois mètres).
Une observation sur environ trois cents sites industriels ou artisanaux (cimenteries, raffineries, briqueteries, entrepôts notamment alimentaire, trains, etc.) démontre un pourcentage d'objectifs détruits ou touchés de l'ordre de 75%.
L'infrastructure routière est dévastée par des bombes de 250 kg (...) la quasi-totalité des ponts à été touchée. Le bombardement des ponts a été effectué sans ménagements et a généralement provoqué des dégâts considérables dans les quartiers alentours (exemple: l'hôpital de Bassorah dont la salle de réanimation a été soufflée). (...)
Aucun bombardement visant délibérément des zones d'habitation n'a été identifié. En revanche, le type de bombardement utilisé a été meurtrier, surtout dans les quartiers populaires de construction légère, proches d'hypothétiques objectifs militaires ou industriels. Le centre-ville de Bassorah fait ainsi apparaître un quartier rasé par un "tapis de bombes" de B-52 (600 victimes, avec des bombes de 250 kg).
Des "bomb dispensers" (projectiles contenant 300 petites bombes quadrillées) ont été également retrouvés à Bassorah. La veille de notre visite, deux enfants avaient été tués par ces engins non explosés. Le général Gallois a aussi reconnu des bombes à fragmentation.
Source: Rapport de la commission indépendante d'enquête française, La guerre l'autre information (France) p.4, mai 91.



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