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                                  Génocide planifié au Rwanda

Article provenant du journal Le Monde du 11/12 novembre 1995,
montrant comment le conflit a été prévu plusieurs mois à l'avance.

La Belgique et l'ONU ont été averties de la préparation d'un génocide au Rwanda

Les autorités belges et le siège des Nations Unies à New york étaient avertis de la préparation du génocide au Rwanda trois mois avant que celui-ci ne se produise, a confirmé le ministre belge de la Défense, Jean-Pol Poncelet. Interpellé jeudi par le sénateur Patrick Hostekint, à la suite de déclarations faites par le général canadien Roméo Dallaire, l'ancient commandant en chef des Casques bleus de l'ONU au Rwanda, le ministre a reconnu qu'en janvier 1994, un officier belge des renseignements avait prévenu des préparatifs en cours d'un massacre organisé de la minorité tutsie. Selon Jean-Pol Poncelet, ces mises en garde ont été communiquées au cabinet du ministre de la Défense de son prédécesseur, Léo Delcroix, limogé depuis dans le contexte d'un scandale immobilier. Ce dernier, pas plus que son collègue des Affaires étrangères, à l'époque Willy Claes, n'a pris des dispositions particulières. Egalement destinataires des rapports de renseignements, le siège de l'ONU n'a pas jugé nécessaire de modifier le mandat strictement défensif des 2.700 Casques bleus de l'ONU déployés au Rwanda. Or, dès le lendemain de l'attentat contre l'avion du président Habyarimana, dix Casques bleus belges, chargés de la protection du Premier ministre  Agathe Uwilingiyimana, ont été faits prisonniers et assassinés par des soldats de l'armée rwandaise.
 

Auteur : Stephen Smith
 

Article tiré du magazine "Le Monde Diplomatique", février 1996

Au Rwanda, en cent jours, plus de 500.000 hommes, femmes et enfants ont été massacrés,
moins en fonction de leur appartenance politique ou à cause de leur participation à la guerre que par le fait qu'ils avaient été définis comme Tutsis, ou comme opposants hutus alliés des premiers. On a pu ainsi exterminer sans remords les victimes, qualifiées " d'ennemi intérieur"...
Par l'étendue des tueries, par la préparation minutieuse qui les a précédées, par l'intention surtout, c'est bien d'un génocide qu'il s'est agi à nouveau dans ce siècle, après celui des Arméniens, des Juifs d'Europe et des Cambodgiens. Et cela cinquante ans après que l'humanité eut juré "plus jamais ça", serment solennel qui a fondé la plupart des institutions mises en place après la seconde guerre mondiale.

Le génocide du Rwanda représente, non seulement en Afrique centrale mais pour l'ensemble de l'humanité, l'un des événements marquants de cette fin de siècle.
Tellement marquant, par sa nature et son ampleur, que déjà tout est fait pour le banaliser,
pour brouiller les pistes de réflexion, entretenir la confusion des esprits, afin sans doute d'occulter les responsabilités, nationales et étrangères... C'est pourquoi il importe de rappeler une fois encore, et à la veille de l'anniversaire de l'attentat contre l'avion du président Juvénal Habyarimana qui, le 06/04/1994, mit le feu aux poudres, à quel point la tragédie était annoncée, préparée...

Les rapports des organisations de défense des droits de l'homme auraient dû alerter l'opinion internationale : à chaque fois, ils relevaient le caractère planifié, volontariste des violences, le fait qu'elles aient été organisées par les autorités communales, qui encadraient la population, la conditionnaient pendant des semaines, prêtaient parfois des véhicules aux équipes de tueurs... Mais la France qualifia de "rumeurs" les rapports qui s'accumulaient et intensifia sa présence militaire aux côtés de l'armée rwandaise, tandis que la Belgique ne suspendit jamais sa coopération...

La préparation du crime fut également matérielle : des armes, venues d'Egypte, d'Afrique du Sud mais aussi de France, furent massivement importées et distribuées à la population.
En décembre 1993, alors que les Casques bleus belges et bangladais censés garantir l'application des accords d'Arusha s'installaient dans Kigali, et que le contingent militaire français ayant pris part aux opérations de guerre quittait le pays, les maires distribuaient les armes dans les communes, atteignant jusqu'aux plus petits niveaux de pouvoir, les secteurs et les cellules. En même temps, des jeunes gens, chômeurs, délinquants, paysans sans terre et sans avenir dans ce pays surpeuplé, étaient recrutés pour devenir des miliciens, les Interhamwe.
Ils devaient recevoir, en plus d'une paire de chaussures neuves, une formation militaire très particulière : dans la région du Mutara comme sur les collines voisines de Kigali, on
leur apprit à "travailler" avec la machette, à frapper systématiquement  le front, la nuque,
à sectionner les articulations... Depuis le début de 1994, les "casques bleus", dont la mission se limitait au "maintien de la paix", assistaient impuissants à l'armement de la population, et les observateurs à Kigali savaient qu'une "machine à tuer" s'était mise en place. Ils n'ignoraient que le jour et l'heure.
Le 6 avril 1994, alors que le président Habyarimana rentrait de Tanzanie, sont sort était scellé. Pressé par les Occidentaux, qui menaçaient de couper tous les crédits, il avait finalement accepté d'ouvrir son gouvernement au Front patriotique et se préparait à lire, dès son retour, un discours consacrant le partage du pouvoir. Cette reddition apparaissait comme une trahison aux yeux des ultras du régime, et d'abord de sa propre belle famille.
Le texte de ce discours disparut dans les débris de l'avion Falcon offert naguère par la coopération française, touché de plein fouet par deux missiles tirés par des mains d'expert,
vraisemblablement blanches, et françaises selon certaines sources.
L'attentat marqua le début du génocide. Avec une efficacité effroyable, la "machine à tuer" se mit en mouvement.
Dès les premières minutes qui suivirent le crash de l'avion, les équipes de tueurs dressèrent les barrages dans Kigali, triant Hutus et Tutsis d'après les papiers d'identité, liquidant systématiquement les seconds. Dans les jours qui suivirent, alors que la presse internationale parlait de "massacres interethniques" , définissant la tragédie comme une explosion "haines tribales" séculaires, le Rwanda était ravagé par un plan d'extermination systématique de "l'ennemi intérieur".
"Coupez les pieds des enfants pour qu'ils marchent toute leur vie sur les genoux, tuez les filles pour qu'il n'y ait pas de générations futures, les fosses communes ne sont pas encore assez pleines, tuez-les, ne commettons pas la même erreur qu'en 1959", répétait "Radio Machette", la Radio des Milles Collines. La machine était bien programmée, et sous contrôle : dans la ville de Butare, trois semaines après le début des massacres à Kigali, le calme régnait encore, car le préfet, membre de l'opposition, multipliait les réunions de pacification. Il fut destitué, puis tué et remplacé par un "dur" du régime, tandis que l'armée, suivie par les miliciens, dépêchait des renforts dans la ville universitaire. Un discours du président par intérim, Théodore Sindikubwabo, devait déclencher les opérations, et les équipes de Médecins sans frontières assistèrent au massacres de leurs malades tutsis sur leurs lits d'hôpital...

Auteur : Colette Braeckman
 

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