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Blanchiment, mafias et paradis fiscaux

Dans les années 1990, la question du blanchiment, des places financières offshore et autres paradis fiscaux mobilisait la "communauté internationale". Les attentats du 11 septembre 2001 l'ont fait passer au second plan, au profit de la lutte contre le financement du terrorisme, un moyen de préserver des zones d'opacité à l'intérieur du système financier sous contrôle des USA et au seul profit des pays riches.
 

Ces "trous noirs" qu'exploitent les mafias et spéculateurs

Zones franches
Il en existe environ 250 dans le monde dans plusieurs dizaines de pays, sans compter les zones partiellement ou temporairement défiscalisées.

Amérique latine
Mexique, Guatemala, Honduras, Panama, Nicaragua, Costa Rica, République Dominicaine, Guyane française.

Afrique
Tunisie, Iles Maurice, Togo, Egypte, Ghana, Kenya, Zimbabwe, Madagascar.

Asie
Chine, Indonésie, Philippines, Taïwan, Sri Lanka, Bangladesh, Pakistan, Turquie.

Europe
Irlande, France (environ 40, dont Dunkerque et la Seyne-sur-Mer)
 

Paradis bancaires, fiscaux et judiciaires

Amérique du Nord
Bermudes, USA (Colorado, Delaware, Miami, New Jersey, New York)

Amérique Centrale
Bélize, Costa Rica, Guatemala, Panama

Caraïbes
Anguilla, Antigua-et-Barbuda, Antilles néerlandaises (Curaçao), Aruba, Bahamas, Barbade, Iles Caïmans, Dominique, Grenade, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte Lucie, Saint Martin, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Iles Turques-et-Caïques, Iles Vierges britanniques

Amérique du Sud
Uruguay

Europe
Andorre, Iles Anglo-Normandes, (Jersey, Guernesey), Campione (Italie), Iles Canaries, City de Londres, Chypre, Estonie, Gibraltar, Hongrie, Irlande, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Madère, Ile de Man, Monaco, Malte, Russie, Saint Marin, Suisse, Ukraine, Vatican

Asie-Pacifique-Océanie
Birmanie, Brunei, Iles Cook, Iles Fidji, Hongkong, Indonésie, Labuan, Macao, Iles Mariannes, Iles Marshall, Ile Maurice, Nauru, Niue, Philippines, Samoa, Singapour, Vanuatu, Iles Salomon, Seychelles, Taïwan, Thaïlande, Tonga, Tuvalu

Proche-Orient, Etats du Golfe Arabie saoudite
Bahreïn, Dubaï, Emirats arabes unis, Israël, Liban

Afrique
Egypte, Liberia, Maroc, Nigeria, Tunisie
 

Principales places financières

Amsterdam, Bahreïn, Iles Caïmans, Chicago, Francfort, Genève, Hongkong, Londres, Luxembourg, Milan, Montréal, Nassau, New York, Paris, Singapour, Sydney, Tokyo, Toronto, Zurich
 

Capitalisation boursière des quatre premières places mondiales
En milliards de dollars

New York : New York Stock Exchange (NYSE) et Nasdaq. Euronext : Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne. Japon : Tokyo et Osaka.

Sources : d'après Jean de Maillard, Le Rapport censuré, critique non autorisé d'un monde déréglé, éditions Flammarion, 2004 ; et la Fédération internationale des Bourses de valeurs (FIBV).
 

Organisations criminelles transnationales

USA
Cosa Nostra (40 000 membres, 25 familles)

Colombie
Narcotrafiquants (25 000 personnes, 2 500 groupes)

Italie
Mafia (Sicile, 50 000 membres, 150 familles), Camorra (Campanie, 7000 membres, 130 familles), N'Drangheta (Calabre, 5 000 membres, 150 'Ndrine), Nuova Sacra Corona Unità (Pouilles, 2 000 membres, 50 familles)

Russie
160 000 membres, 12 000 groupes

Japon
Yakuzas : Yamaguchi Gumi (23 000 membres, 750 clans), Sumiyoshi Rengo (7 000 membres, 170 clans), Inagawa Kai (7 000 membres, 300 clans)

Hongkong
Triades : Fédération Wo (40 000 membres, 10 clans), 14 K (25 000 membres, 30 clans), Sun Yee On (50 000 membres)

Autres pays concernés
Canada, Mexique, Jamaïque, Turquie, Albanie, Kosovo, Tchétchénie, Chine, Taïwan, Nigeria, Israël, pays du Caucase et de l'Asie centrale (vallée du Ferghana).
 

En 2000, la mobilisation internationale contre les places offshore était à son apogée. Le Forum de stabilité financière (créé par le G7), l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et le Groupe d'action financière (GAFI) avaient publié presque simultanément des listes de pays et territoires dont les pratiques étaient critiquables sur le plan de la stabilité financière, de la fraude fiscale ou du blanchiment.

Très vite cependant, il est apparu que cette convergence temporelle dissimulait plus d'embarras que de volonté d'en finir avec les pratiques dénoncées. Seul le GAFI a suivi la liste noire qu'il avait élaborée en y inscrivant initialement quinze pays et territoires "non coopératifs)" (PTNC) dans la lutte antiblanchiment, mais pour réduire progressivement cette liste, qui ne contient plus que trois juridictions.
La lutte anti-blanchiment a-t-elle donné des résultats tangibles, qui justifieraient un certain relâchement ? En vérité, nul ne peut le dire, car les politiques mises en oeuvre sous les auspices du GAFI n'ont jamais pu être évaluées en termes d'efficacité.

Si les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué un tournant dans la lutte pour l'assainissement du système financier, c'est dans une direction inattendue. Il aurait paru logique en effet que les failles du système bancaire et financier occidental, grâce auxquelles les terroristes avaient pu financer leurs opérations, soient sérieusement auditées pour être comblées, notamment les paradis bancaires et fiscaux utilisés par Al Qaida ou les organisations criminelles. L'occasion paraissait toute trouvée de mettre en place des règles internationales communes pour en finir avec les pratiques inlassablement dénoncées des structures offshore, derrière lesquelles s'opèrent toutes les dissimulations.
Malgré la mise en place de dispositifs de surveillance réels, les USA ont très rapidement entrepris, par le vote du Patriot Act, en octobre 2001, de placer le système bancaire et financier sous leur contrôle, en obligeant les banques du monde entier, dans leurs relations avec eux, à garantir la transparence de leurs structures et de leurs opérations financières.

Priorité au terrorisme

Bien qu'elle ait correctement ciblés les failles du système financier, cette politique comporte deux inconvénients. D'une part, centrée sur la lutte anti-terroristes, elle ne se préoccupe guère de l'assainissement en tant que tel des places financières ni même de la lutte contre la criminalité mafieuse. D'autre part, elle a été mise en place unilatéralement par les USA, qui conservent pour eux seuls les informations qu'ils recueillent. Les évaluations qui ont été faites du dispositif ainsi imposé au reste du monde sont fort critiques quant aux résultats de la lutte anti-terroriste, mais on peut craindre aussi les limites de son efficacité économique d'ensemble.
En effet, les USA n'ont pas voulu en finir avec l'opacité du système financier. Les paradis bancaires et fiscaux conservent la plupart de leurs attributs. Les plus sulfureux d'entre eux ont subi des désagréments, mais les autres, en se pliant à un contrôle accru, préservent l'essentiel de leurs capacités d'occultation.

La lutte anti-blanchiment n'est plus une priorité des USA quand elle n'est pas reliée aux activités terroristes. Les services offerts par les paradis bancaires et fiscaux traditionnels sont d'ailleurs concurrencés par ceux de pays qui n'ont pas cette étiquette : le Royaume-Uni et les USA en particulier, par les entraves qu'ils mettent à la coopération judiciaire, entretiennent délibérément l'opacité juridique et financière.
Cela n'empêche pas les USA, au nom de la lutte contre le financement du terrorisme, d'exercer des pressions considérables sur les systèmes financiers qui échappent à leurs emprise. Il s'agit d'un côté des systèmes alternatifs informels de compensation du type "hawala", répandus dans les pays du tiers-monde et les diasporas ; de l'autre, des banques islamiques, au fonctionnement effectivement très hermétique. S'il est vrai que ces circuits financiers, qui brassent des capitaux importants, sont aussi impénétrables que le système occidental, ils sont beaucoup plus stigmatisés que ce dernier depuis 2001.

La lutte contre le blanchiment, désormais axée contre le financement du terrorisme, apparaît donc comme un moyen de préserver des zones d'ombre à l'intérieur du système financier au seul profit des pays riches et d'obliger les pays du tiers-monde à s'intégrer à celui-ci.

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