Mondialisation,
gagnants et perdants
Ceux que la dette écrase et ceux qu'elle enrichit
Annulations et remises de dette qui se multiplient,
promesses d'accroissement des dons de la part des pays riches : on pourrait
croire au vu de ces annonces que l'endettement global du Sud a diminué
ces dernières années. Il n'en est rien.
Quelles que soient les mesures pour en réduire
le montant, il n'a cessé d'augmenter.
Paroles, paroles...
Aide au développement : Des "bonnes intentions"...
1969 Rapport Pearson, adopté en 1970 par la résolution 1522 de l'Assemblée générale des Nations unies : "Nous recommandons que chaque pays donateur augmente ses engagements d'APD (Aide publique au développement) (...) pour atteindre 0,7% de son PNB (Produit national brut) en 1975 ou peu après mais en aucun cas au-delà de 1980."
1992 Conférence des Nations unies à Rio sur l'environnement et le développement, accord adopté par 172 gouvernements : "Les pays développés réaffirment leur engagement à atteindre l'objectif fixé par les Nations unies de 0,7% du PNB pour l'APD et (...) acceptent d'augmenter leurs programmes d'aide afin d'atteindre cet objectif le plus tôt possible."
2000 Déclaration du millénaire, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies : "Nous appelons les pays industrialisés (...) à accorder une aide au développement plus généreuse."
2002 Consensus de la conférence de Monterrey pour le financement du développement, adopté par la conférence et entériné par l'Assemblée générale des Nations unies : "Nous exhortons les pays développés qui ne l'ont pas fait à fournir des efforts concrets pour atteindre l'objectif de 0,7% du PNB pour l'APD."
2004 Déclaration des ministres des finances du G7, Washington : "Nous réaffirmons notre engagement à lutter contre la pauvreté mondiale et à aider les pays à atteindre les objectifs du développement international de la déclaration du millénaire (...) Une aide financière supplémentaire (...) est nécessaire."
... à la réalité
En 2003, seuls 5 des 22 principaux pays donateurs
ont atteint l'objectif des 0,7% préconisé par l'ONU. Parmi
eux, aucun membre du G7.
Dette : Des "bonnes intentions"...
1998 Sommet du G8 à Birmigham : "Nous nous engageons à un effort international commun pour soutenir l'extension rapide et déterminée de la réduction de la dette à davantage de pays (...) nous travaillerons (...) à ce que les pays qualifiés obtiennent la réduction dont ils ont besoin pour assurer une résolution durable de leurs problèmes de dette."
2002 Consensus de la conférence de Monterrey pour le financement du développement, adopté par la conférence et entériné par l'Assemblée générale des Nations unies : "Les mesures visant à réduire la dette devraient, lorsqu'elles sont appropriées, être poursuivies vigoureusement et promptement (...). La mise en oeuvre rapide, effective et totale du programme pour les pays pauvres très endettés (PPTE) qui devrait être totalement financé grâce à des ressources supplémentaires, est décisive."
2004 Sommet du G8 à Sea Island : "Nous
sommes engagés à mettre en oeuvre le programme pour les pays
pauvres très endettés dans sa totalité et à
aider les pays les plus pauvres à supporter la dette grâce
à la réduction de celle-ci et au financement de prêts."
... à la réalité
40% de la dette des pays pauvres très
endettés (PPTE) à été annulée, et seuls
14 des 42 pays du programme ont obtenu une réduction substantielle
de celle-ci.
Source : Paying the Price, Oxfam International 2005
Fin 2003, la dette extérieure globale des
pays en voie de développement (PVD) s'élevait à quelque
2 530 milliards $. Les Etats du Sud les plus endettés en valeur
absolue sont tous situés en Amérique latine : le Brésil
(254 milliards $), l'Argentine (186 milliards $) et le Mexique (157 milliards
$).
Austérité
Cet endettement est si astronomique que les Etats
créanciers et les institutions financières internationales
(IFI) ont dû admettre depuis plusieurs années la nécessité
de le reduire pour desserrer l'étau qui étouffe les pays
concernés, les empêchant de renouer avec la croissance. La
dernière de cette initiative, appelée PPTE (pays pauvres
très endettés), à été mise en oeuvre
en 1996, et concernait fin 2003 27 pays parmi les plus pauvres ayant rempli
les conditions nécessaires pour bénéficier de ce mécanisme.
Quoique les puissances du Nord aient un endettement extérieur
sans commune mesure avec celui des pays en voie de développement
(PVD), le Fonds monétaire international (FMI) n'y trouve rien à
redire. Les pays riches sont redevables de plus de 90% d'une dette mondiale
estimée à quelque 35 000 milliards $. Celle des seuls Etats-Unis
atteint, avec 7 600 milliards $, le triple de l'ensemble de celle des pays
du Sud. Ils sont suivis par le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France.
Une fois déduits les nouveaux prêts, ce sont en moyenne
16 milliards $ qui ont quitté chaque année, de 1985 à
2000, les PVD au titre du service de la dette (remboursements annuels du
capital et des intérêts échus). Le montant global de
ce service a atteint, selon le FMI, 318,8 milliards $ en 2001. Cela signifie
que les PVD remboursent chaque année près de 13% du stock
de leur dette. Depuis 1995, l'Afrique subsaharienne, pourtant considérée
comme la région la plus pauvre du monde, envoie vers le Nord 1,5
milliard $ de plus que ce qu'elle en reçoit.
Les puissances mondiales sont-elles en train de prendre conscience des
conséquences dévastatrices de ces déséquilibres
planétaires ? La volonté affichée par les institutions
financières internationales (IFI) d'aller plus loin dans les réductions
de dettes et l'initiative en faveur de l'Afrique entreprise par Anthony
Blair en sont-elles des signes annonciateurs ?
Sur la Toile
Observatoire international de la dette (OID) :
Réseau pour la réforme des institutions financières internationales (IFI) :
Comité pour l'annulation de la dette du tiers-monde (CADTM)
Mais, aussi importante soit-elle, leur dette
est moins lourde par rapport à leur richesse nationale que celle
des pays les plus pauvres, où elle est souvent supérieure
au montant du revenu national brut (RNB). La dette extérieure totale
des 40 pays dits à "faible revenu" se situe au-delà de 520
milliards $. Celle de plusieurs d'entre eux a atteint des sommets : en
Afrique subsaharienne, 16 pays ont une dette qui dépasse le montant
de leur RNB, la palme étant remportée par Sao-Tomé-et-Principe,
le
Liberia et la Guinée-Bissau, où elle est supérieure
à 300% du RNB. En Amérique, celle du Nicaragua s'élève
à 172% du RNB.
Ce dernier, bien qu'il ait réduit le montant de leurs remboursements
annuels, est insuffisant au regard de la lourdeur de leur endettement total.
C'est qu'il est destiné, non à en supprimer le fardeau, mais
à rendre leur dette restante "soutenable" afin qu'ils puissent s'en
acquitter.
Enfin, les conditionnalités qui accompagnent ces réductions
sont si strictes qu'elles ne leur permettent pas de remettre vraiment sur
pied des économies et des secteurs sociaux sinistrés.
Pourtant, ce sont les pays du Sud qui sont contraints de rembourser
les sommes qu'ils sont censés devoir au Nord. Pour ce faire, ils
doivent mettre en oeuvre des mesures d'austérité qui seraient
considérées comme intolérables par les populations
des pays riches. Actuellement, en fait, les Etats endettés du Sud
financent une partie des déficits des nations riches, leurs flux
financiers vers le Nord étant depuis plusieurs décennies
plus importants que les flux Nord-Sud.
Si l'on ajoute aux versements au titre du service de la dette les bénéfices
tirés par les entreprises du Nord de leurs investissements au Sud
et les placements au Nord des pays du Sud les plus dynamiques, comme la
Chine, qui possède une part importante de la dette américaine,
ces flux deviennent massifs.
Or, l'aide publique au développement des Etats de l'Organisation
de coopération et de développement économique (OCDE)
s'est élevée à 78,6 milliards $ en 2004, soit 0,4%
de leurs revenus.
Lors de la réunion du G8 de juillet 2005, les Etats riches ont
décidé d'annuler la dette multilatérale de 18 pays
pauvres, soit un montant total de 48 milliards $, ce qui est loin de pouvoir
résoudre leurs problèmes. Ils doivent en effet, pour bénéficier
de cette nouvelle initiative, se plier aux mêmes conditions que pour
les réductions antérieures. En outre, cette annulation ne
concerne pas les créances bilatérales, de loin plus importantes.
La modestie de cet effort financier fourni par le Nord n'incite pas
à l'optimisme. En effet, si un pays débiteur à revenu
moyen, comme l'Argentine, peut passer outre aux diktats du FMI pour imposer
à ses créanciers privés un rachat de sa dette à
ses propres conditions, tel n'est pas le cas des nations les plus pauvres,
qui ne dépendent, pour l'heure, que de l'hypothétique bonne
volonté de ceux qu'on appelle toujours leurs "donateurs".