Une nouvelle géopolitique
Vers la sanctuarisation des pays riches
En un quart de siècle, les pays nantis, de l'Union européenne aux Etats-Unis et à l'Australie, ont peu à peu renforcé le contrôle de leurs frontières. Ils cherchent à reporter le poids de la sélection des migrants en dehors de leur territoire. Quand la méfiance vis-à-vis des pauvres s'allie à la peur de l'étranger...
Le retournement de la croissance et la fin de
la guerre froide ont modifié la donne en matière de mouvements
migratoires. Pour des motifs qui souvent ne relèvent plus strictement
de la convention de 1951 sur les réfugiés, des millions de
personnes en proie à une détresse multiforme, spontanément
ou par force, prennent le chemin de l'exil au moment même où
les nations les plus riches, appuyant la montée de la xénophobie,
se disent moins que jamais disposées à accueillir la "misère
du monde".
Dans ce mouvement de ciseaux, les USA et l'Union
européenne (UE) ont mis en place un dispositif de protection contre
les déplacements humains désignés comme une menace.
Par un effet d'entraînement en cascade, ce processus de sanctuarisation
s'est répandu dans toute une série de zones intermédiaires
où chaque pays s'efforce d'appliquer la doctrine dite Nimby (Not
in My backyard : "Pas chez moi"). Une conception territoriale du "risque"
migratoire remplace la référence aux principes, notamment
en matière de droits de la personne. Ses pièces maîtresses
évoquent une stratégie de guerre.
Tout d'abord, on observe une criminalisation
de l'immigration accompagnant l'usage croissant d'expressions comme "migrants
illégaux", y compris pour désigner les demandeurs d'asile.
Les mesures prises à leur égard sont souvent légitimées
dans les déclarations publiques par la "chasse aux terroristes",
voire la protection des valeurs chrétiennes contre un supposé
péril musulman.
Les frontières, considérées
comme autant de zones de front, sont militarisées. A Gibraltar,
le Système intégré de vigilance extérieure
(SIVE), financé par l'Union pour protéger la frontière
espagnole des migrations venues d'Afrique, fait appel à des techniques
sophistiquées de surveillance maritime. Dans le détroit de
Torres, l'Australie sous-traite l'exploitation d'un système similaire
aux habitants de l'île de Duan.
Repousser les migrants
Des formes de "coopération" militaire apparaissent
entre pays de transit et pays de destination : entre le Maroc et l'Espagne,
entre la Libye et l'Italie. Aux USA, l'opération " Gatekeepers
", décidée en 1994, a conduit au déploiement de
11 000 patrouilleurs le long de la frontière avec le Mexique et
d'une infrastructure sans précédent en temps de paix. La
militarisation fait tache d'huile : l'Angola a décidé en
2005 de se doter d'un système électronique de contrôle
de ses frontières.
L'efficacité de ces moyens ruineux se
révèle limitée, sauf pour mettre en danger la vie
des migrants, procurer des ressources aux intermédiaires et aux
employeurs de main-d'oeuvre irrégulière. Au départ
des côtes nord-africaines, les noyades se comptent par centaines.
Aux USA, dans le seul désert de l'Arizona, plus de 200 personnes
ont été retrouvées mortes en 2004. En même temps,
c'est par milliers que les exploitations agricoles californiennes ou andalouses
emploient des travailleurs sans papiers.
Pour les migrants qui ne sont pas rendus invisibles
dans l'emploi illégal, les pays nantis ont développé
une logique d'internement sans droits. Alors que les USA internaient les
boat people qui fuyaient Haïti dans la base de Guantanamo, la pratique
des centres de rétention français s'est généralisée
dans l'Union, suscitant de vives réactions, comme la création
en 2000 du réseau Migreurop qui milite contre "l'Europe des camps".
Récemment, face à une "pression
migratoire" jugée excessive, on se réoriente vers des politiques
d'externalisation. En 2001, l'Australie lance la "solution Pacifique" en
achetant à l'Etat de Nauru le droit d'y installer des camps gérés
par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). En 2003, le
Royaume-Uni propose de créer des processing centers (plates-formes)
dans des pays tiers pour examiner les demandes d'asile hors de l'UE.
L'idée à été rejetée.
Pourtant, des "officiers de liaison" y sont envoyés pour former
les agents locaux à la lutte contre l'émigration vers l'UE.
Partout, il est question d'établir des "zones tampons" ou des "ceintures
de sécurité". Les pays de transit ou d'origine des migrants
sont invités, en contre-partie de libéralités commerciales
ou d'un soutien à des régimes douteux, à arrêter
le flux à la source. Face à un tel ensemble de surenchères,
le respect des droits de la personne paraît bien secondaire.
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