Le précédent du Panama
Panama, Golfe: même combat? Le Golfe était-il une "bavure"
médiatique due à un enjeu et des circonstances exceptionnelles?
Ou bien un journaliste consciencieux pouvait-il étudier et signaler
des précédents permettant de mieux se défendre contre
les manipulations? L'invasion américaine de Panama, en décembre
89 offrait l'exemple d'un tel précédent.
Dans cette affaire de Panama, les médias se sont trouvés
en défaut sur tous les aspects importants. D'abord, ils ont complètement
minimisés les importants dégâts dus aux bombardements
américains. Ensuite, ils n'ont pas signalé au public que
les militaires US empêchaient tout travail journalistique. Enfin,
ils ont caché au public les véritables raisons de cette intervention
militaire.
Encore une guerre "propre" !
Le 20 décembre 1989, alors que des événements dramatiques
se déroulent en Roumanie, le président Bush ordonne une attaque
militaire sur le Panama. Ce petit pays compte un peu plus de deux millions
d'habitants. 6.000 soldats face à 25.000 soldats d'élite
US. Utilisant aviation, artillerie et porte-avions, l'armée américaine
expérimente de nouvelles armes dont le bombardier Stealth.
L'attaque-surprise commence par le déversage de 422 bombes en
13 heures sur Panama-City.
La plupart des groupes de défense des droits de l'homme évaluent
entre 700 et 4.000 le nombre de civils tués.(Source: Cover Action,
USA, printemps 91, n° 36). Les soldats US enterrent des panaméens
dans des fosses communes, souvent sans les identifier. L'association nationale
des avocats relate que de nombreuses familles ont enterré leurs
victimes clandestinement, par crainte de la répression. Même
dans ces conditions, la Croix-Rouge signale 1.500 disparitions.
Dans le seul district d'El Chorrillo, à Panama-City, des centaines
de civils sont tués et entre 15.000 et 30.000 personnes perdent
leur habitation. "Cinq blocs entiers ont été bombardés",
témoigne Olga Mejia, "les 25ème, 26ème et 27ème
rues où je suis née et où j'ai passé mon enfance,
ont été complètement détruites et transformées
en un cimetière. A minuit trente, le bombardement, le mitraillage
et les tirs aux roquettes ont commencé. Puis, ont été
utilisés les lance-flammes et les tanks, et ce fut la désolation
générale. Ils ont tiré à la mitrailleuse sur
des maisons faites de bois et de plâtre pendant que la population
dormait, à quelques jours de Noël.
Beaucoup de ceux qui ont tenté d'échapper aux incendies
et aux bombardements sont morts dans les rues, abattus par les mitrailleurs
américains".
Source: Olga Mejia, Military and economic agression against Panama,
juin 1991.
Manifestement, cette stratégie US violait la Convention de Genève,
laquelle affirme:
"Dans tous les conflits armés, les droits des
parties en conflit ne sont pas illimités. Premièrement, il
est interdit d'employer des armes, projectiles, matériels ou méthodes
non justifiés par les nécessités militaires. Deuxièmement,
les parties en conflit sont tenues de garantir le respect et la protection
de la population civile et de la propriété et d'opérer
à tout moment une distinction entre population civile et population
combattante (...) Les attaques contre des civils et des biens civils sont
exclues."
Source: Protocole Additionnel aux Conventions de Genève, 1983.
TIMISOARA: Charnier "intéressant"
Ce charnier a fait le tour du monde des médias. Il était
bidon, aucun journaliste de la "grande presse" n'avait vérifié
sérieusement les affirmations. On avait même écarté
soigneusement les témoignages en sens contraire. Qu'importe: ce
charnier était "intéressant" car il devait "prouver" la barbarie
de la Securitate roumaine et justifier le renversement d'un régime
ennemi...
Le Soir, 23/12/1989
"La télévision a diffusé hier soir, les images
insoutenables d'un charnier découvert à Timisoara rassemblant
4.360 cadavres, corps nus, souvent torturés ou portant des traces
de blessures à la baïonnette: les victimes du massacre, par
les forces de sécurité roumaines, des insurgés du
week-end dernier."
Wilfried Martens, premier ministre belge, le 24/12/1989 :
"Il y a douze mille morts à Timisoara."
La Libre Belgique, le 26/12/1989 :
"Tous les témoignages concordent (sic): la police de Ceaucescu
s'est acharnée sur ses victimes avec une sauvagerie inimaginable
(...) on a trouvé des cadavres dans un état indéscriptible:
mains et pieds coupés, ongles arrachés, tête à
moitié séparée du corps, visage brûlé
à l'acide, la plupart des corps éventrés et sommairement
recousus. Le corps d'un bébé de trois ou quatre mois a été
retrouvé allongé sur celui de sa mère."
Michel Mommenrency, in Médiamensonges, p. 73:
"Comment expliquer que seul l'hebdomadaire belge Solidaire se soit
demandé comment ces corps en décomposition avancée
le 22/12 pouvaient dater des affrontements du 17/12, comment des coups
de baïonnette pouvaient suivre uniformément la ligne médiane
des corps sur toute la longueur du thorax et du ventre, comment un foetus
"arraché du ventre de sa mère", pouvait avoir une taille
de plus de 50 cm et présenter un âge de plusieurs mois?"
PANAMA: Charnier "sans intérêt"
Ce charnier n'a été montré dans aucun média. Or, il était très réel (c'était un des douze charniers où les américains ont enterré à la hâte des victimes de leur invasion à Panama). Mais les autorités américaines avaient tout fait pour éviter qu'on l'ouvre. Et les médias l'ont bien vite refermé. Ces morts n'étaient pas "intéressants", car victimes d'une armée "amie"...
Le "Jardin de la paix", aux abords de la ville de Panama, le 28/04/1990:
quelque deux cents personnes assistent à l'ouverture d'une fosse
commune. Malgré les entraves posées par les autorités
panaméennes et américaines, "l'Association des Familles des
Victimes du 20 décembre"
est parvenue à faire ouvrir deux des douze fosses communes signalées
jusqu'à présent.
La plupart des 123 corps exhumés de cette fosse-ci portent des
vêtements civils. Ils sont enveloppés dans des sacs kaki en
nylon de l'armée américaine. Dans l'un d'eux, les restes
de trois enfants en bas âge. Dans un autre, le corps déchiqueté
d'une femme qui, selon les témoignages, fut écrasée
par un tank. Dans d'autres encore, deux corps d'hommes adultes, poings
liés derrière le dos, assassinés d'une balle dans
la nuque."
(Reportage de Paul-Emile Dupret.)
Selon Ramsey Clark, ancien ministre américain de la Justice:
"L'invasion du Panama par les Etats-Unis constitua une violation de toutes
les lois internationales, bien plus importante que lorsque l'Irak envahit
le Koweït. Bien plus de panaméens furent tués par les
forces américaines que de koweïtiens par des forces irakiennes."
Source: Commission internationale d'enquête sur les crimes de
guerre des Etats-Unis
Ce massacre de populations civiles est passé sous silence par
les médias qui ne parlent que de cibles militaires. Le premier titre
du Soir (21/12) est particulièrement éloquent: "Les délinquants
pillent, les Américains "nettoient". Les médias recopient
presque entièrement la version américaine qui ne parle que
de "quelques poches de résistance" (en fait, elle durera encore
quatre jours et sera abrégée précisément par
de fausses informations de reddition d'unités panaméennes).
Quant au nombre de victimes, les médias recopient également
les bilans officiels US: d'abord, "au moins 9 américains et une
cinquantaine de panaméens", (Le Soir, 22/12), puis "23 morts américains"
et chez l'ennemi "290 tués" (Le Monde, 27/12). On reste toujours
extrêmement loin de la réalité (700 à 4.000).
A propos de la Roumanie, les médias occidentaux "inventent" des
dizaines de milliers de morts. Au même moment, ils cachent les morts
bien réels de Panama. Les deux événements se déroulent
en même temps: l'un est gonflé médiatiquement, l'autre
rejeté au placard. Pour des motivations politiques très claires.
Dans un cas, "notre camp" est coupable; dans l'autre, il escompte un bénéfice
politique. Nous y reviendrons au chapitre 14.
Donc, sur ces deux thèmes archi-classiques de l'information
militaire US, "guerre propre" et "guerre courte", les médias se
comportent, à chaque fois, comme si c'était leur première
guerre: aucune enquête propre, aucun recoupement des sources, aucune
remarque tant soit peu critique sur les communiqués officiels américains.
Ils croient tout sur parole. Et si, le lendemain, ces autorités
se démentent elles-mêmes, jamais cela n'entraîne des
questions comme "Pourquoi nous ment-on? Que cache-t-on?"
Journalistes enfermés, bombardés, emprisonnés...
Pire: on n'indique jamais que les américains appliquent un tel
black-out sur l'information qu'il n'est pas possible aux médias
de travailler. Comme l'explique le chercheur norvégien Ottosen,
"D'abord, un petit "pool" rassemblant des journalistes de divers médias
doit se partager l'ensemble du matériel de première main.
La seule couverture TV existante fut diffusée sans aucune remarque
critique par toutes les chaînes de télévision, ne mentionnant
jamais que c'était la version officielle américaine de la
bataille. Les journalistes indépendants n'étaient pas admis.
Notamment à cause de la fermeture des aéroports et des frontières,
il n'y avait pas moyen d'entrer dans le pays. En outre, les trois cents
journalistes arrivés en charter de Miami furent détenus dans
des baraquements militaires et maintenus là, avec seulement quatre
lignes téléphoniques extérieures et peu ou pas d'information
à envoyer au pays. Après 48 heures, on leur dit de choisir
entre rester où ils étaient, aux mêmes conditions,
ou retourner à Miami.
Beaucoup choisirent de retourner".
Source: Rune Ottosen, Communication au colloque d'Istambul, juin 1991.
Le militaires US tentent d'empecher une equipe américaine
indépendante de filmer le camp où sont concentrés
les réfugies victimes des bombardements. Le film dont ces images
sont tirées,"Invasion in Panama" est d'une qualité remarquable
et contient des documents-chocs.Il n'a été diffusé
par aucune chaîne européenne. Seule Channel 4 en a réservé"
une version plus longue.
Quartier de Chorrillo (Panama-City) aprés le
bombardement "chirurgical" US pour "capturer" Noriega
Guerre invisible
Alors que le nombre de morts (de Panama) a été deux fois
supérieur (à celui des événements de Bucarest),
personne n'a parlé de "génocide panaméen", ni de "charniers".
Parce que l'armée américaine n'a pas permis aux journalistes
de filmer les scènes de guerre. Et une guerre "invisible" n'impressionne
pas, ne révolte pas l'opinion publique. (...)
(Pour la Roumanie,) il fallait des images tragiques. Le communisme,
ce rêve immense de l'humanité, pouvait-il s'écrouler
sans un fracas rapelant sa monstrueuse puissance? C'est une logique qui,
par avance, fait accepter les images du charnier de Timisoara. Images nécessaires
en quelque sortes. Aucun sceptisisme, aucun sens critique ne pouvait les
récuser; elles tombaient juste et arrivaient à point. (...)
Mensongères, ces images étaient vraiment logiques. Et venaient
ratifier la fonction de la télévision dans un monde où
l'on tend à remplacer la réalité par sa mise en scène.
Source: Ignacio Ramonet, rédacteur en chef du Monde Diplomatique,
in Médiamensonges, Bruxelles, 1991.
L'information indépendante est rapidement réduite au silence.
Radio Nacional, qui continuait à émettre et relatait les
événements, est bombardée avec précision par
une roquette tirée d'un hélicoptère US. Le quotidien
La Republica, qui relatait les pertes civiles, est attaqué par des
soldats US et ses bureaux sont vidés. Son directeur est arrêté
sans procès pendant six semaines.
Deux autres journaux sont fermés et la station de télévision
est placée sous commandement militaire US. 150 journalistes au poins
sont licenciés.
Tout comme les ambulances panaméennes, les journalistes sont
systématiquement refoulés de la zone des combats. Lorsque
la presse eut accès aux zones bombardées, l'armée
américaine avait tout nettoyé aux bulldozers. Plus de traces
des victimes. Les soldats avaient ramassé jusqu'à la dernière
douille.
Le commandement militaire US a fait réaliser des enregistrements
vidéo et des photographies de l'invasion, mais il les tient secret.
(Source: UPI, 31/01/1990). Il se réserve également le contrôle
des informations sur les morts et les blessés. (Le commandement
américain se réserve aussi l'exclusivité des conclusions
des nombreux essais de nouvelles armes effectués en "conditions
réelles". Certains indices permettent de penser qu'on veut aussi
cacher le nombre de soldats américains tués (qui dépasserait
de beaucoup les annonces officielles).
Si nos médias avaient, au moins, signalé ces éléments,
ils auraient permis au public de se rendre compte que l'information n'était
pas crédible. En taisant ces informations, ne se sont-ils pas rendus
coupables de complicité? Quand un photographe espagnol sera tué
et un reporter français grièvement blessé par des
soldats américains, Le Monde (23/12) se bornera à parler
de "bavure" et de "nervosité"!
L'argument "on n'a pas parlé de Panama parce que les américains
n'ont rien laissé filmer" est trop court. En pratiquant un bon journalisme
d'investigation, il était possible de rechercher des sources alternatives,
de creuser les contradictions des déclarations officielles américaines,
de mettre en évidence cette censure totale, de rappeler les violations
des conventions de Genève que les cas de censure précédents
avaient servi à camoufler... Autant de possibilités pour
un journalisme critique. Mais cela semble hors de question pour ce journalisme
qui tend surtout à faire approuver les politiques menées
par l'Occident.
Quand une partie de la vérité commencera tout de même
à filtrer, grâce aux efforts des comités panaméens
des droits de l'homme, quand on saura que le nombre des victimes est bien
plus élevé, les médias creuseront-ils ce qui se cache
sous cette désinformation?
Non.
Seule, une équipe de cinéastes américains indépendants
a enquêté dans les camps où étaient concentrés
les réfugiés. Elle s'est vu interdire de filmer par des militaires
et a dû déployer des trésors d'ingéniosité
pour sauver ses cassettes vidéo. (voir photo du haut).
Ce témoignage bouleversant aurait dû passer sur toutes
les grandes chaînes TV, mais n'a connu qu'une diffusion confidentielle.
Devinettes:
Quel pays a été condamné par l'assemblée
générale de l'ONU, en décembre 1989, pour "violation
flagrante du droit international?
Réponse: les Etats-Unis, pour leur invasion du Panama.
Quel pays européen a bloqué cette condamnation par son
véto au Conseil de sécurité?
Réponse: la France
Quel média vous en a parlé???
Les mobiles des Etats-Unis
Le troisième aspect largement occulté dans la couverture
médiatique, ce sont les véritables raisons de l'intervention
des Etats-Unis. ceux-ci ont avancé quatre types de raisons: 1. Arrêter
le général Noriega afin de combattre le trafic de drogue.
(N'importe quoi! j'invite le lecteur à aller voir sur ce site, le
livre: Les Sociétés Secrètes, les chapitres: La CIA
et le Shah d'Iran et le chapitre: La situation actuelle, c'est sans commentaires!
d'autant plus que selon l'ex-directeur de la DEA (Drug Enforcement Agency)
Bush aurait pu l'arrêter quelques mois auparavant à un cocktail
à la Maison Blanche! note du C.A.R.L. E. Xedah).
2. Protéger des vies américaines menacées, 3.
Renverser un dictateur afin de rétablir la démocratie au
Panama. 4. Assurer la sécurité du canal de Panama. Les médias
ont-ils examiné sérieusement ces raisons invoquées?
Arrêter Noriega pour combattre la drogue? La "menace soviétique" étant démodée, on constate que le "narco-terrorisme" la remplace de plus en plus pour justifier des interventions militaires américaines. En fait, les USA utilisent cette accusation contre presque tous leurs ennemis: Cuba, les sandinistes nicaraguayens, la guérilla péruvienne. Cela ne manque pas de piquant, la CIA elle-même ayant été à maintes reprises impliquée dans des trafics de drogue (Viêt-nam, Laos, Nicaragua (Contragate), Irangate, financement des rebelles tibétains, etc...) En vérité, il ne s'agit que d'un argument de "marketing", d'un emballage pour "vendre" à l'opinion publique, la politique US. Mais loin de le faire remarquer, les médias acceptent "l'explication" de la lutte contre la drogue. Ils la popularisent même. Le 21/12, à la une du journal Le Monde, Plantu dessine un duel entre l'Oncle Sam et Noriega. L'arme de ce dernier: une énorme seringue!
Pour "vendre" ce genre d'affaires aux médias de l'échelon
inférieur, les services américains mettent généralement
en scène quelques détails croustillants, authentiques ou
fabriqués peu importe. Dans le cas Noriega, on aurait été
à deux doigt de le capturer dans les bras d'une prostituée,
il posséderait un portrait d'Hitler sur son bureau. Un thème
qui resservira bientôt, comme on sait. On "découvrira" aussi
dans son dernier repaire de la "poudre blanche" (tiens donc!). Drogue,
évidemment. Quelques mois plus tard, démenti: ce n'était
que de la farine de maïs. Mais qui a enregistré le démenti,
en brève, bien plus tard? Seule l'information fausse a frappé
les consciences.
Ces "scandales" ne sont pas choisis au hasard mais basés sur
des études sélectionnant les thèmes qui inspirent
le plus de répulsion au public, surtout dans la presse dite populaire:
nazisme, drogue, perversions sexuelles.
Tous les faits qui contredisent la thèse de la "lutte contre
la drogue" sont écartés par les médias. Par exemple,
on oublie de nous dire que l'équipe Endara-Ford, mise au pouvoir
par l'invasion américaine, s'était opposée en 1986
à une loi qui devait mettre un terme au blanchiment des narco-dollars.
On oublie aussi de nous dire que ces deux hommes ont été
liés à des trafiquants de drogue: le président Endara,
avocat, défend depuis 25 ans Carlos Eleta, important homme d'affaires
panaméen arrêté en avril 89 pour trafic de drogue.
Quant au vice-président Guillermo Ford, il est copropriétaire
d'une banque utilisée par le cartel de la drogue de Medellin; un
associé de Ford a d'ailleurs utilisé cette banque pour blanchir
des millions de dollars provenant de la drogue. Source: Isthmian Foundation
for Social and Economic Studies. A. Cockburn, The Nation, 04/02/1991.
Enfin pourquoi les médias ont-ils également oublié
de signaler qu'un an après la chute de Noriega, le trafic de drogue
est plus intense que jamais à Panama? Signalons en passant que pour
faire élire ces deux hommes,
les USA ont dépensé
proportionnellement à la population, cinq fois plus que la dernière
campagne présidentielle de Bush et Dukakis réunis!
Deuxième justification de l'invasion: "protéger les vies américaines", comme l'indique Le Soir (21/12). Ceci est un grand classique dans les justifications d'interventions américaines (françaises, belges...) Il y a toujours quelque part des citoyens américains menacés par un méchant régime et qu'il faut impérativement aller protéger. Que ces "quasi-otages" soient assez souvent des "conseillers militaires" ou des membres de services secrets assurant notamment la formation de la police politique ou bien qu'ils représentent des compagnies multinationales américaines dont le rôle en coulisses n'est pas nécessairement très profitable à la population locale, ces détails sont rarement abordés. Et que surtout les vies américaines seraient bien mieux protégées si tout simplement le gouvernement américain renonçait à ses ingérences, cela non plus n'est pas dit. Le mobile doit pouvoir resservir.
Troisième justification: Noriega a été chassé
parce que c'est un dictateur. Or, il était un dictateur depuis longtemps
et avec la protection active des Etats-Unis, y compris de George Bush,
directeur de la CIA, puis vice-président. De temps en temps, les
médias font allusion à ces relations. Mais jamais au point
d'en tirer la conclusion logique: un tyran, en soi, ne gêne pas les
Etats-Unis; il suffit d'énumérer la longue liste des dictateurs
d'Amérique latine, souvent pires encore que Noriega, protégés
et maintenus au pouvoir par les USA.
Quand Bush se félicite de voir Noriega "remplacé" par
"des dirigeants constitutionnellement élus", pourquoi aucun médias
ne fait-il remarquer que le même Bush et son président Reagan
ont tout fait pour déstabiliser les "dirigeants constitutionnellement
élus" du Nicaragua? Y compris armer et financer illégalement
les terroristes de la Contra.
Et s'il s'agit de rétablir la "démocratie" panaméenne,
pourquoi n'indique-t-on pas non plus que le gouvernement pro-américain
d'Endara, après avoir licencié 10.000 fonctionnaires, a interdit
aux travailleurs des services publics de participer à aucune manifestation?
Pour cacher que, depuis l'invasion, le taux de chômage a doublé
et que le nombre de pauvres est passé de 33% à près
de 50%. Source: Fair, janvier 1990.
Mais si l'amour de la démocratie n'est pas le vrai mobile de
l'intervention américaine, quel mobile reste-t-il? La "sécurité"
du canal. Le Monde et Le Soir (21/12) le disent parfois. Une analyse du
Soir va même jusqu'à écrire: "La défense de
la démocratie n'a été le plus souvent qu'un élément
subsidiaire dans la politique des Etats-Unis à l'égard de
l'Amérique latine." "Elément subsidiaire" reste un doux euphémisme
pour qualifier une politique qui a renversé par la violence le président
Allende et tant d'autres... Le plus grave, c'est qu'on ne tient aucun compte
de cette lucidité passagère dans le reste des comptes rendus
qui reprennent la "version des faits" américaine.
Même quand on suggère que c'est essentiellement le canal
qui intéresse les USA, on n'explique pas sérieusement pourquoi.
On ne lie pas cette question au dépit de Bush de voir Noriega flirter
avec le nationalisme et prendre ses distances dans la lutte contre les
sandinistes et autres révolutionnaires. On n'explique pas que l'utilité
économique du canal a fort diminué, mais qu'il y a là
surtout 14 bases militaires US, oui quatorze. A quoi servent-elles? A bien
plus que la protection du canal. "Elles ont en fait servi d'école,
de centre de commandement et de centre de renseignements pour toute la
stratégie de contre-insurrection en Amérique latine.
14.000 militaires et para-militaires latino-américains y sont
formés chaque année. 250.000 y sont déjà passés".
(Source: P.E. Dupret, Solidaire, le 10/01 et 19/12/1990).
En outre, Panama est prévu comme base arrière pour les
interventions militaires futures en Amérique latine: Pérou,
Colombie ou d'autres pays, la situation économique et sociale explosive
de la région confère toute son importance à cette
base arrière. Il s'agit donc d'éviter qu'elle tombe en des
mains insuffisament pro-américaines...
Mais voici sans doute la plus étonnante omission des médias.
Pourquoi n'ont-ils pas rappelé au public que cette invasion constituait
en réalité la 15ème intervention militaire US à
Panama depuis 150 ans? Chaque fois pour combattre le trafic de drogue ou
rétablir la démocratie? Non, en 1912, par exemple, c'était
pour manipuler les élections. En 1925, pour occuper Panama-City
(20 morts, 600 blessés). Depuis 150 ans, les USA interviennent pour
briser les mouvements nationalistes ou les gêneurs, pour protéger
les intérêts de leurs compagnies et du très petit nombre
de familles panaméennes qui leur sont alliées. Le grand nombre
même de ces interventions réduit à néant les
prétextes particuliers invoqués pour justifier celle-ci.
Est-ce parce que l'histoire de Panama aurait ouvert les yeux à l'opinion
qu'on l'a passée sous silence?
Les médias ont-ils été amnésiques ou complices?
Les amours Noriega-CIA
Pourquoi les médias n'ont-ils pas raconté la longue histoire
des amours de Noriega et des services secrets US? Parce qu'elle réduit
à néant les prétextes invoqués pour l'invasion
Un peu d'histoire, pour rafraîchir les mémoires:
C'est dès le milieu des années 50 que Noriega est recruté
par un service secret de l'armée, le 470ème. Il est proche
de Torrijos qui accède au pouvoir par un coup d'Etat. En 1969, Noriega
passe à la CIA.
Au début des années 70, un agent panaméen de la
CIA témoigne: Noriega est complice du trafic de drogue. Le bureau
des narcotiques américain envisage même sérieusement
de le faire assassiner. Mais il intéresse la CIA, qui le paie 100.000
$ par an, car il fournit de nombreux renseignements sur la gauche de la
région. En 1981, sa valeur augmente: il remplace Torrijos, décédé
dans un "accident" d'avion suspect.
Mais vers 1985, Noriega commence à dénoncer la politique
américaine. Il se rapproche de Cuba et rechigne à coopérer
aux opérations US contre le gouvernement sandiniste du Nicaragua.
Noriega a cessé d'être utile à la CIA. En 1988, il
est inculpé à Miami pour trafic de drogue. En fait, les Etats-Unis
sont au courant depuis au moins 16 ans .
Durant les années 88 et 89, les administrations Reagan et Bush
mènent une guerre verbale contre Noriega tout en tentant d'obtenir
qu'il se retire en échange de l'impunité. Après l'échec
des tractations, Bush envoie ses troupes sous le premier prétexte
venu.
Eclairante histoire, n'est-ce pas...
Alors, pourquoi la "chronologie"
publiée le 21/12 par Le Monde débute-t-elle seulement en...
juin 1987? Pourquoi cacher la période précédente,
essentielle?
Source: Clarence Lusane, Racism and resistance in Panama, Covert Action,
printemps 1991.
L' "expert" était faux
Octobre 89. Un coup d'Etat contre Noriega échoue. La télévision de Los Angeles (KTTV) cherche une source pour commenter la question. Elle appelle le consulat panaméen, mais tombe en fait au domicile de Kurt Rappaport, 22 ans. Lequel, farceur, prétend être "Arturo Valdez", diplomate panaméen anti-Noriega. Il se présente au studio, affublé d'une fausse moustache. La télévision diffusera une interview de 15 minutes de "l'expert" Valdez. Personne n'a jamais cherché à contrôler ses origines ni ses dires. Cas extrême? Sans doute. Mais il montre qu'il est possible de faire passer pour "expert" n'importe qui. A condition qu'il aille dans le sens souhaité.