Index

Le précédent du Panama

Panama, Golfe: même combat? Le Golfe était-il une "bavure" médiatique due à un enjeu et des circonstances exceptionnelles? Ou bien un journaliste consciencieux pouvait-il étudier et signaler des précédents permettant de mieux se défendre contre les manipulations? L'invasion américaine de Panama, en décembre 89 offrait l'exemple d'un tel précédent.
Dans cette affaire de Panama, les médias se sont trouvés en défaut sur tous les aspects importants. D'abord, ils ont complètement minimisés les importants dégâts dus aux bombardements américains. Ensuite, ils n'ont pas signalé au public que les militaires US empêchaient tout travail journalistique. Enfin, ils ont caché au public les véritables raisons de cette intervention militaire.

Encore une guerre "propre" !

Le 20 décembre 1989, alors que des événements dramatiques se déroulent en Roumanie, le président Bush ordonne une attaque militaire sur le Panama. Ce petit pays compte un peu plus de deux millions d'habitants. 6.000 soldats face à 25.000 soldats d'élite US. Utilisant aviation, artillerie et porte-avions, l'armée américaine expérimente de nouvelles armes dont le bombardier Stealth.
L'attaque-surprise commence par le déversage de 422 bombes en 13 heures sur Panama-City.
La plupart des groupes de défense des droits de l'homme évaluent entre 700 et 4.000 le nombre de civils tués.(Source: Cover Action, USA, printemps 91, n° 36). Les soldats US enterrent des panaméens dans des fosses communes, souvent sans les identifier. L'association nationale des avocats relate que de nombreuses familles ont enterré leurs victimes clandestinement, par crainte de la répression. Même dans ces conditions, la Croix-Rouge signale 1.500 disparitions.
Dans le seul district d'El Chorrillo, à Panama-City, des centaines de civils sont tués et entre 15.000 et 30.000 personnes perdent leur habitation. "Cinq blocs entiers ont été bombardés", témoigne Olga Mejia, "les 25ème, 26ème et 27ème rues où je suis née et où j'ai passé mon enfance, ont été complètement détruites et transformées en un cimetière. A minuit trente, le bombardement, le mitraillage et les tirs aux roquettes ont commencé. Puis, ont été utilisés les lance-flammes et les tanks, et ce fut la désolation générale. Ils ont tiré à la mitrailleuse sur des maisons faites de bois et de plâtre pendant que la population dormait, à quelques jours de Noël.
Beaucoup de ceux qui ont tenté d'échapper aux incendies et aux bombardements sont morts dans les rues, abattus par les mitrailleurs américains".
Source: Olga Mejia, Military and economic agression against Panama, juin 1991.

Manifestement, cette stratégie US violait la Convention de Genève, laquelle affirme: "Dans tous les conflits armés, les droits des parties en conflit ne sont pas illimités. Premièrement, il est interdit d'employer des armes, projectiles, matériels ou méthodes non justifiés par les nécessités militaires. Deuxièmement, les parties en conflit sont tenues de garantir le respect et la protection de la population civile et de la propriété et d'opérer à tout moment une distinction entre population civile et population combattante (...) Les attaques contre des civils et des biens civils sont exclues."
Source: Protocole Additionnel aux Conventions de Genève, 1983.
 
 



TIMISOARA: Charnier "intéressant"
Ce charnier a fait le tour du monde des médias. Il était bidon, aucun journaliste de la "grande presse" n'avait vérifié sérieusement les affirmations. On avait même écarté soigneusement les témoignages en sens contraire. Qu'importe: ce charnier était "intéressant" car il devait "prouver" la barbarie de la Securitate roumaine et justifier le renversement d'un régime ennemi...

Le Soir, 23/12/1989
"La télévision a diffusé hier soir, les images insoutenables d'un charnier découvert à Timisoara rassemblant 4.360 cadavres, corps nus, souvent torturés ou portant des traces de blessures à la baïonnette: les victimes du massacre, par les forces de sécurité roumaines, des insurgés du week-end dernier."

Wilfried Martens, premier ministre belge, le 24/12/1989 :
"Il y a douze mille morts à Timisoara."

La Libre Belgique, le 26/12/1989 :
"Tous les témoignages concordent (sic): la police de Ceaucescu s'est acharnée sur ses victimes avec une sauvagerie inimaginable (...) on a trouvé des cadavres dans un état indéscriptible: mains et pieds coupés, ongles arrachés, tête à moitié séparée du corps, visage brûlé à l'acide, la plupart des corps éventrés et sommairement recousus. Le corps d'un bébé de trois ou quatre mois a été retrouvé allongé sur celui de sa mère."

Michel Mommenrency, in Médiamensonges, p. 73:
"Comment expliquer que seul l'hebdomadaire belge Solidaire se soit demandé comment ces corps en décomposition avancée le 22/12 pouvaient dater des affrontements du 17/12, comment des coups de baïonnette pouvaient suivre uniformément la ligne médiane des corps sur toute la longueur du thorax et du ventre, comment un foetus "arraché du ventre de sa mère", pouvait avoir une taille de plus de 50 cm et présenter un âge de plusieurs mois?"
 


PANAMA: Charnier "sans intérêt"

Ce charnier n'a été montré dans aucun média. Or, il était très réel (c'était un des douze charniers où les américains ont enterré à la hâte des victimes de leur invasion à Panama). Mais les autorités américaines avaient tout fait pour éviter qu'on l'ouvre. Et les médias l'ont bien vite refermé. Ces morts n'étaient pas "intéressants", car victimes d'une armée "amie"...

Le "Jardin de la paix", aux abords de la ville de Panama, le 28/04/1990: quelque deux cents personnes assistent à l'ouverture d'une fosse commune. Malgré les entraves posées par les autorités panaméennes et américaines, "l'Association des Familles des Victimes du 20 décembre"
est parvenue à faire ouvrir deux des douze fosses communes signalées jusqu'à présent.
La plupart des 123 corps exhumés de cette fosse-ci portent des vêtements civils. Ils sont enveloppés dans des sacs kaki en nylon de l'armée américaine. Dans l'un d'eux, les restes de trois enfants en bas âge. Dans un autre, le corps déchiqueté d'une femme qui, selon les témoignages, fut écrasée par un tank. Dans d'autres encore, deux corps d'hommes adultes, poings liés derrière le dos, assassinés d'une balle dans la nuque."
(Reportage de Paul-Emile Dupret.)
 

Selon Ramsey Clark, ancien ministre américain de la Justice: "L'invasion du Panama par les Etats-Unis constitua une violation de toutes les lois internationales, bien plus importante que lorsque l'Irak envahit le Koweït. Bien plus de panaméens furent tués par les forces américaines que de koweïtiens par des forces irakiennes."
Source: Commission internationale d'enquête sur les crimes de guerre des Etats-Unis

Ce massacre de populations civiles est passé sous silence par les médias qui ne parlent que de cibles militaires. Le premier titre du Soir (21/12) est particulièrement éloquent: "Les délinquants pillent, les Américains "nettoient". Les médias recopient presque entièrement la version américaine qui ne parle que de "quelques poches de résistance" (en fait, elle durera encore quatre jours et sera abrégée précisément par de fausses informations de reddition d'unités panaméennes). Quant au nombre de victimes, les médias recopient également les bilans officiels US: d'abord, "au moins 9 américains et une cinquantaine de panaméens", (Le Soir, 22/12), puis "23 morts américains" et chez l'ennemi "290 tués" (Le Monde, 27/12). On reste toujours extrêmement loin de la réalité (700 à 4.000). A propos de la Roumanie, les médias occidentaux "inventent" des dizaines de milliers de morts. Au même moment, ils cachent les morts bien réels de Panama. Les deux événements se déroulent en même temps: l'un est gonflé médiatiquement, l'autre rejeté au placard. Pour des motivations politiques très claires. Dans un cas, "notre camp" est coupable; dans l'autre, il escompte un bénéfice politique. Nous y reviendrons au chapitre 14.
Donc, sur ces deux thèmes archi-classiques de l'information militaire US, "guerre propre" et "guerre courte", les médias se comportent, à chaque fois, comme si c'était leur première guerre: aucune enquête propre, aucun recoupement des sources, aucune remarque tant soit peu critique sur les communiqués officiels américains. Ils croient tout sur parole. Et si, le lendemain, ces autorités se démentent elles-mêmes, jamais cela n'entraîne des questions comme "Pourquoi nous ment-on? Que cache-t-on?"

Journalistes enfermés, bombardés, emprisonnés...

Pire: on n'indique jamais que les américains appliquent un tel black-out sur l'information qu'il n'est pas possible aux médias de travailler. Comme l'explique le chercheur norvégien Ottosen, "D'abord, un petit "pool" rassemblant des journalistes de divers médias doit se partager l'ensemble du matériel de première main. La seule couverture TV existante fut diffusée sans aucune remarque critique par toutes les chaînes de télévision, ne mentionnant jamais que c'était la version officielle américaine de la bataille. Les journalistes indépendants n'étaient pas admis. Notamment à cause de la fermeture des aéroports et des frontières, il n'y avait pas moyen d'entrer dans le pays. En outre, les trois cents journalistes arrivés en charter de Miami furent détenus dans des baraquements militaires et maintenus là, avec seulement quatre lignes téléphoniques extérieures et peu ou pas d'information à envoyer au pays. Après 48 heures, on leur dit de choisir entre rester où ils étaient, aux mêmes conditions, ou retourner à Miami.
Beaucoup choisirent de retourner".
Source: Rune Ottosen, Communication au colloque d'Istambul, juin 1991.
 
 


Le militaires US tentent d'empecher une equipe américaine indépendante de filmer le camp où sont concentrés les réfugies victimes des bombardements. Le film dont ces images sont tirées,"Invasion in Panama" est d'une qualité remarquable et contient des documents-chocs.Il n'a été diffusé par aucune chaîne européenne. Seule Channel 4 en a réservé"  une version plus longue.



Quartier de Chorrillo (Panama-City) aprés le bombardement "chirurgical" US pour "capturer" Noriega

Guerre invisible
Alors que le nombre de morts (de Panama) a été deux fois supérieur (à celui des événements de Bucarest), personne n'a parlé de "génocide panaméen", ni de "charniers". Parce que l'armée américaine n'a pas permis aux journalistes de filmer les scènes de guerre. Et une guerre "invisible" n'impressionne pas, ne révolte pas l'opinion publique. (...)
(Pour la Roumanie,) il fallait des images tragiques. Le communisme, ce rêve immense de l'humanité, pouvait-il s'écrouler sans un fracas rapelant sa monstrueuse puissance? C'est une logique qui, par avance, fait accepter les images du charnier de Timisoara. Images nécessaires en quelque sortes. Aucun sceptisisme, aucun sens critique ne pouvait les récuser; elles tombaient juste et arrivaient à point. (...) Mensongères, ces images étaient vraiment logiques. Et venaient ratifier la fonction de la télévision dans un monde où l'on tend à remplacer la réalité par sa mise en scène.
Source: Ignacio Ramonet, rédacteur en chef du Monde Diplomatique, in Médiamensonges, Bruxelles, 1991.

L'information indépendante est rapidement réduite au silence. Radio Nacional, qui continuait à émettre et relatait les événements, est bombardée avec précision par une roquette tirée d'un hélicoptère US. Le quotidien La Republica, qui relatait les pertes civiles, est attaqué par des soldats US et ses bureaux sont vidés. Son directeur est arrêté sans procès pendant six semaines.
Deux autres journaux sont fermés et la station de télévision est placée sous commandement militaire US. 150 journalistes au poins sont licenciés.
Tout comme les ambulances panaméennes, les journalistes sont systématiquement refoulés de la zone des combats. Lorsque la presse eut accès aux zones bombardées, l'armée américaine avait tout nettoyé aux bulldozers. Plus de traces des victimes. Les soldats avaient ramassé jusqu'à la dernière douille.
Le commandement militaire US a fait réaliser des enregistrements vidéo et des photographies de l'invasion, mais il les tient secret. (Source: UPI, 31/01/1990). Il se réserve également le contrôle des informations sur les morts et les blessés. (Le commandement américain se réserve aussi l'exclusivité des conclusions des nombreux essais de nouvelles armes effectués en "conditions réelles". Certains indices permettent de penser qu'on veut aussi cacher le nombre de soldats américains tués (qui dépasserait de beaucoup les annonces officielles).

Si nos médias avaient, au moins, signalé ces éléments, ils auraient permis au public de se rendre compte que l'information n'était pas crédible. En taisant ces informations, ne se sont-ils pas rendus coupables de complicité? Quand un photographe espagnol sera tué et un reporter français grièvement blessé par des soldats américains, Le Monde (23/12) se bornera à parler de "bavure" et de "nervosité"!
L'argument "on n'a pas parlé de Panama parce que les américains n'ont rien laissé filmer" est trop court. En pratiquant un bon journalisme d'investigation, il était possible de rechercher des sources alternatives, de creuser les contradictions des déclarations officielles américaines, de mettre en évidence cette censure totale, de rappeler les violations des conventions de Genève que les cas de censure précédents avaient servi à camoufler... Autant de possibilités pour un journalisme critique. Mais cela semble hors de question pour ce journalisme qui tend surtout à faire approuver les politiques menées par l'Occident.
Quand une partie de la vérité commencera tout de même à filtrer, grâce aux efforts des comités panaméens des droits de l'homme, quand on saura que le nombre des victimes est bien plus élevé, les médias creuseront-ils ce qui se cache sous cette désinformation? Non.
Seule, une équipe de cinéastes américains indépendants a enquêté dans les camps où étaient concentrés les réfugiés. Elle s'est vu interdire de filmer par des militaires et a dû déployer des trésors d'ingéniosité pour sauver ses cassettes vidéo. (voir photo du haut).
Ce témoignage bouleversant aurait dû passer sur toutes les grandes chaînes TV, mais n'a connu qu'une diffusion confidentielle.
 

Devinettes:
Quel pays a été condamné par l'assemblée générale de l'ONU, en décembre 1989, pour "violation flagrante du droit international?
Réponse: les Etats-Unis, pour leur invasion du Panama.

Quel pays européen a bloqué cette condamnation par son véto au Conseil de sécurité?
Réponse: la France

Quel média vous en a parlé???

Les mobiles des Etats-Unis

Le troisième aspect largement occulté dans la couverture médiatique, ce sont les véritables raisons de l'intervention des Etats-Unis. ceux-ci ont avancé quatre types de raisons: 1. Arrêter le général Noriega afin de combattre le trafic de drogue. (N'importe quoi! j'invite le lecteur à aller voir sur ce site, le livre: Les Sociétés Secrètes, les chapitres: La CIA et le Shah d'Iran et le chapitre: La situation actuelle, c'est sans commentaires! d'autant plus que selon l'ex-directeur de la DEA (Drug Enforcement Agency) Bush aurait pu l'arrêter quelques mois auparavant à un cocktail à la Maison Blanche! note du C.A.R.L.  E. Xedah).
2. Protéger des vies américaines menacées, 3. Renverser un dictateur afin de rétablir la démocratie au Panama. 4. Assurer la sécurité du canal de Panama. Les médias ont-ils examiné sérieusement ces raisons invoquées?

Arrêter Noriega pour combattre la drogue? La "menace soviétique" étant démodée, on constate que le "narco-terrorisme" la remplace de plus en plus pour justifier des interventions militaires américaines. En fait, les USA utilisent cette accusation contre presque tous leurs ennemis: Cuba, les sandinistes nicaraguayens, la guérilla péruvienne. Cela ne manque pas de piquant, la CIA elle-même ayant été à maintes reprises impliquée dans des trafics de drogue (Viêt-nam, Laos, Nicaragua (Contragate), Irangate, financement des rebelles tibétains, etc...) En vérité, il ne s'agit que d'un argument de "marketing", d'un emballage pour "vendre" à l'opinion publique, la politique US. Mais loin de le faire remarquer, les médias acceptent "l'explication" de la lutte contre la drogue. Ils la popularisent même. Le 21/12, à la une du journal Le Monde, Plantu dessine un duel entre l'Oncle Sam et Noriega. L'arme de ce dernier: une énorme seringue!

Pour "vendre" ce genre d'affaires aux médias de l'échelon inférieur, les services américains mettent généralement en scène quelques détails croustillants, authentiques ou fabriqués peu importe. Dans le cas Noriega, on aurait été à deux doigt de le capturer dans les bras d'une prostituée, il posséderait un portrait d'Hitler sur son bureau. Un thème qui resservira bientôt, comme on sait. On "découvrira" aussi dans son dernier repaire de la "poudre blanche" (tiens donc!). Drogue, évidemment. Quelques mois plus tard, démenti: ce n'était que de la farine de maïs. Mais qui a enregistré le démenti, en brève, bien plus tard? Seule l'information fausse a frappé les consciences.
Ces "scandales" ne sont pas choisis au hasard mais basés sur des études sélectionnant les thèmes qui inspirent le plus de répulsion au public, surtout dans la presse dite populaire: nazisme, drogue, perversions sexuelles.

Tous les faits qui contredisent la thèse de la "lutte contre la drogue" sont écartés par les médias. Par exemple, on oublie de nous dire que l'équipe Endara-Ford, mise au pouvoir par l'invasion américaine, s'était opposée en 1986 à une loi qui devait mettre un terme au blanchiment des narco-dollars. On oublie aussi de nous dire que ces deux hommes ont été liés à des trafiquants de drogue: le président Endara, avocat, défend depuis 25 ans Carlos Eleta, important homme d'affaires panaméen arrêté en avril 89 pour trafic de drogue. Quant au vice-président Guillermo Ford, il est copropriétaire d'une banque utilisée par le cartel de la drogue de Medellin; un associé de Ford a d'ailleurs utilisé cette banque pour blanchir des millions de dollars provenant de la drogue. Source: Isthmian Foundation for Social and Economic Studies. A. Cockburn, The Nation, 04/02/1991.
Enfin pourquoi les médias ont-ils également oublié de signaler qu'un an après la chute de Noriega, le trafic de drogue est plus intense que jamais à Panama? Signalons en passant que pour faire élire ces deux hommes, les USA ont dépensé proportionnellement à la population, cinq fois plus que la dernière campagne présidentielle de Bush et Dukakis réunis!

Deuxième justification de l'invasion: "protéger les vies américaines", comme l'indique Le Soir (21/12). Ceci est un grand classique dans les justifications d'interventions américaines (françaises, belges...) Il y a toujours quelque part des citoyens américains menacés par un méchant régime et qu'il faut impérativement aller protéger. Que ces "quasi-otages" soient assez souvent des "conseillers militaires" ou des membres de services secrets assurant notamment la formation de la police politique ou bien qu'ils représentent des compagnies multinationales américaines dont le rôle en coulisses n'est pas nécessairement très profitable à la population locale, ces détails sont rarement abordés. Et que surtout les vies américaines seraient bien mieux protégées si tout simplement le gouvernement américain renonçait à ses ingérences, cela non plus n'est pas dit. Le mobile doit pouvoir resservir.

Troisième justification: Noriega a été chassé parce que c'est un dictateur. Or, il était un dictateur depuis longtemps et avec la protection active des Etats-Unis, y compris de George Bush, directeur de la CIA, puis vice-président. De temps en temps, les médias font allusion à ces relations. Mais jamais au point d'en tirer la conclusion logique: un tyran, en soi, ne gêne pas les Etats-Unis; il suffit d'énumérer la longue liste des dictateurs d'Amérique latine, souvent pires encore que Noriega, protégés et maintenus au pouvoir par les USA.
Quand Bush se félicite de voir Noriega "remplacé" par "des dirigeants constitutionnellement élus", pourquoi aucun médias ne fait-il remarquer que le même Bush et son président Reagan ont tout fait pour déstabiliser les "dirigeants constitutionnellement élus" du Nicaragua? Y compris armer et financer illégalement les terroristes de la Contra.
Et s'il s'agit de rétablir la "démocratie" panaméenne, pourquoi n'indique-t-on pas non plus que le gouvernement pro-américain d'Endara, après avoir licencié 10.000 fonctionnaires, a interdit aux travailleurs des services publics de participer à aucune manifestation? Pour cacher que, depuis l'invasion, le taux de chômage a doublé et que le nombre de pauvres est passé de 33% à près de 50%. Source: Fair, janvier 1990.

Mais si l'amour de la démocratie n'est pas le vrai mobile de l'intervention américaine, quel mobile reste-t-il? La "sécurité" du canal. Le Monde et Le Soir (21/12) le disent parfois. Une analyse du Soir va même jusqu'à écrire: "La défense de la démocratie n'a été le plus souvent qu'un élément subsidiaire dans la politique des Etats-Unis à l'égard de l'Amérique latine." "Elément subsidiaire" reste un doux euphémisme pour qualifier une politique qui a renversé par la violence le président Allende et tant d'autres... Le plus grave, c'est qu'on ne tient aucun compte de cette lucidité passagère dans le reste des comptes rendus qui reprennent la "version des faits" américaine.
Même quand on suggère que c'est essentiellement le canal qui intéresse les USA, on n'explique pas sérieusement pourquoi. On ne lie pas cette question au dépit de Bush de voir Noriega flirter avec le nationalisme et prendre ses distances dans la lutte contre les sandinistes et autres révolutionnaires. On n'explique pas que l'utilité économique du canal a fort diminué, mais qu'il y a là surtout 14 bases militaires US, oui quatorze. A quoi servent-elles? A bien plus que la protection du canal. "Elles ont en fait servi d'école, de centre de commandement et de centre de renseignements pour toute la stratégie de contre-insurrection en Amérique latine.
14.000 militaires et para-militaires latino-américains y sont formés chaque année. 250.000 y sont déjà passés". (Source: P.E. Dupret, Solidaire, le 10/01 et 19/12/1990).
En outre, Panama est prévu comme base arrière pour les interventions militaires futures en Amérique latine: Pérou, Colombie ou d'autres pays, la situation économique et sociale explosive de la région confère toute son importance à cette base arrière. Il s'agit donc d'éviter qu'elle tombe en des mains insuffisament pro-américaines...

Mais voici sans doute la plus étonnante omission des médias. Pourquoi n'ont-ils pas rappelé au public que cette invasion constituait en réalité la 15ème intervention militaire US à Panama depuis 150 ans? Chaque fois pour combattre le trafic de drogue ou rétablir la démocratie? Non, en 1912, par exemple, c'était pour manipuler les élections. En 1925, pour occuper Panama-City (20 morts, 600 blessés). Depuis 150 ans, les USA interviennent pour briser les mouvements nationalistes ou les gêneurs, pour protéger les intérêts de leurs compagnies et du très petit nombre de familles panaméennes qui leur sont alliées. Le grand nombre même de ces interventions réduit à néant les prétextes particuliers invoqués pour justifier celle-ci. Est-ce parce que l'histoire de Panama aurait ouvert les yeux à l'opinion qu'on l'a passée sous silence?
Les médias ont-ils été amnésiques ou complices?

Les amours Noriega-CIA
Pourquoi les médias n'ont-ils pas raconté la longue histoire des amours de Noriega et des services secrets US? Parce qu'elle réduit à néant les prétextes invoqués pour l'invasion

Un peu d'histoire, pour rafraîchir les mémoires:
C'est dès le milieu des années 50 que Noriega est recruté par un service secret de l'armée, le 470ème. Il est proche de Torrijos qui accède au pouvoir par un coup d'Etat. En 1969, Noriega passe à la CIA.
Au début des années 70, un agent panaméen de la CIA témoigne: Noriega est complice du trafic de drogue. Le bureau des narcotiques américain envisage même sérieusement de le faire assassiner. Mais il intéresse la CIA, qui le paie 100.000 $ par an, car il fournit de nombreux renseignements sur la gauche de la région. En 1981, sa valeur augmente: il remplace Torrijos, décédé dans un "accident" d'avion suspect.
Mais vers 1985, Noriega commence à dénoncer la politique américaine. Il se rapproche de Cuba et rechigne à coopérer aux opérations US contre le gouvernement sandiniste du Nicaragua. Noriega a cessé d'être utile à la CIA. En 1988, il est inculpé à Miami pour trafic de drogue. En fait, les Etats-Unis sont au courant depuis au moins 16 ans .
Durant les années 88 et 89, les administrations Reagan et Bush mènent une guerre verbale contre Noriega tout en tentant d'obtenir qu'il se retire en échange de l'impunité. Après l'échec des tractations, Bush envoie ses troupes sous le premier prétexte venu. Eclairante histoire, n'est-ce pas... Alors, pourquoi la "chronologie" publiée le 21/12 par Le Monde débute-t-elle seulement en... juin 1987? Pourquoi cacher la période précédente, essentielle?
Source: Clarence Lusane, Racism and resistance in Panama, Covert Action, printemps 1991.
 

L' "expert" était faux

Octobre 89. Un coup d'Etat contre Noriega échoue. La télévision de Los Angeles (KTTV) cherche une source pour commenter la question. Elle appelle le consulat panaméen, mais tombe en fait au domicile de Kurt Rappaport, 22 ans. Lequel, farceur, prétend être "Arturo Valdez", diplomate panaméen anti-Noriega. Il se présente au studio, affublé d'une fausse moustache. La télévision diffusera une interview de 15 minutes de "l'expert" Valdez. Personne n'a jamais cherché à contrôler ses origines ni ses dires. Cas extrême? Sans doute. Mais il montre qu'il est possible de faire passer pour "expert" n'importe qui. A condition qu'il aille dans le sens souhaité.

Index

Free Web Hosting