Des révélations fabriquées...
Le Nouvel Observateur, 20-26 décembre 1990
Exclusif: la confession d'un réfugié irakien
"Moi, capitaine Karim, garde du corps de Saddam Hussein"
Il a été le témoin des opérations les plus secrètes, il a assisté aux pires exactions, participé même à certaines d'entre elles. cet homme désormais sans visage et sans nom, sa survie est à ce prix, a vécu pendant six ans dans l'intimité de Saddam Hussein dont il était garde du corps. L'affaire du Stark, l'assassinat du ministre de la Défense, les derniers jours du journaliste anglais Farzad Bazoft, l'exécution, de la main de Saddam Hussein, d'un général irakien... Karim, appelons-le ainsi, était présent. On a vu sa silhouette mercredi soir sur TF1. Aujourd'hui, dans un récit qui confirme les rapports accablants d'Amnesty International, il raconte Saddam Hussein.
Un camion-citerne irakien grimpe lentement une route de montagne un
jour de septembre dernier (1990)
(En septembre 90,
la frontière entre l'Irak et la Turquie était fermée
à la suite du blocus).
Le chauffeur a laissé Bagdad loin derrière
et Mossoul, la grande ville du Nord, à quatre heures de voyage.
Devant lui, il y a la frontière avec la Turquie. Dans ses cuves,
des tonnes de kérosène à livrer à Istanbul.
Sur le toit du camion, à même la tôle, il y a un gros
paquet de vieux chiffons... Et, roulé en boule à l'intérieur,
un homme (Karim) qui crève de peur (...)
Karim se cache toujours. Nous l'avons rencontré,
par hasard, entre deux voyages, quelque part en Europe. C'est un jeune
homme, de 32 ans, cultivé, à l'allure d'un fils de grande
famille irakienne (...)
(Muzhir Najie Affat Al-Klifawi, alias "capitaine
Karim", n'est pas fils de cheikh. Son père est conducteur de camion
dans une entreprise de travaux publics de Ramadi. Menant des études
d'architecture à Paris à partir de 1980 et ayant échoué,
il a fabriqué un faux certificat de réussite. Démasqué,
il est retourné en Irak en 1982. En 1985, il travaillait au ministère
du Plan.)
Il faudra attendre l'été 1986 pour
que le miroir se brise et que Karim comprenne que Saddam Hussein n'est
pas forcément le leader qu'il croit servir (...)
Saddam décide une formidable contre-offensive
et, à l'autre bout de la table, le général Salah el-Kadi
s'y oppose de toutes ses forces. Il insiste, dénonce la tactique
choisie, annonce l'échec. La discussion ne va pas durer longtemps.
Karim se rappelle la scène: "Il a ordonné au général:
"Lève-toi" Et le général s'est levé de sa chaise.
Saddam a dit: "Toi, tu es un lâche, un traître". Il y a eu
un grand silence. Le général a reculé dos au mur.
Saddam a sorti son pistolet et il lui a tiré sept balles dans la
poitrine"...
(Le général
Salah el-Kadi est mort en 1982).
Saddam Hussein l'envoie (Karim) en Europe. Mais
avant de partir, il a juste le temps de voir le visage torturé de
Farzad Bazoft, le journaliste de l'Observer qui va être exécuté
pour espionnage.
(Farzad Bazoft n'a pas été torturé.
Un certificat médical produit par un médecin désigné
par les Britanniques l'atteste).
Début août, il assiste à la
dernière conversation téléphonique entre Saddam Hussein
et l'émir du Koweït. Le 20/08/90, il est au palais présidentiel
et fouille une équipe de la télévision française
qui va interviewer le président.
(Muzhir Affat est revenu à Paris en février
1990 et a été engagé temporairement à l'ambassade
d'Irak. En août, il est à Paris, pas en Irak).
Source: Le Canard enchaîné, le 30/01/1991;
La 5ème colonne à la Une, février 91.
TF1,
Droit
de savoir, 23 janvier 1991
Poivre d'Arvor:
"Dans sa deuxième partie de l'émission,
se dévoilera le fameux capitaine Karim. Il mettra masque à
bas."
-Capitaine Karim:
"Saddam Hussein complote pour tuer son propre
peuple, avec les Etats-Unis."
-Charles Villeneuve, journaliste:
"Pourquoi traitez-vous Saddam Hussein d'agent
des Américains?"
-Capitaine Karim:
"C'est un agent américain, car c'est un
agent américain."
-Poivre d'Arvor:
"Merci pour ce témoignage, en effet très
éloquent."
-L'ambassadeur d'Irak téléphone
en direct:
"Ce Monsieur n'a jamais fait partie de la garde
du président Saddam Hussein. Il était à Paris avant
le 2 août. Il a travaillé comme attaché de presse à
l'ambassade."
-Poivre d'Arvor, se tournant vers "Karim":
"Je vous reconnais, je crois que vous y étiez
le 20 août (à Bagdad), lorsque vous m'avez fouillé."
Le Canard enchaîné, 30 janvier 1991
Le Canard a demandé à Poivre d'Arvor
s'il pouvait confirmer ce qu'il avait révélé à
l'antenne. A savoir que Karim était bien l'un des gardes qui l'avaient
fouillé. Réponse sans ambiguïté: "C'est lui qui
me l'a dit. Il m'est impossible de dire que je l'ai reconnu. Ils se ressemblent
tous et on ne fait pas vraiment attention à ceux qui nous fouillent.
Je ne peux pas jurer à 100% que c'est lui, mais à 95%."
On aurait quand même aimé qu'il
fasse part au téléspectateurs de cette petite part de doute.
Poivre d'Arvor a gentiment proposé au "Canard" de rencontrer Karim.
Mais ce capitaine prolixe n'a pas consenti à répondre à
nos questions. Nous avions pourtant le droit de savoir.
La "fortune" de Saddam
Le Vif L'Express, 29 mars 1991
Le magot de Saddam
Le dictateur irakien et son clan, auraient détourné,
à leur profit, une partie de la manne pétrolière.
Pour l'investir un peu partout dans le monde.
(Cette accusation ne devrait-elle pas être
portée plutôt contre les émirs du Koweït qui traitent
toutes les richesses du pays comme leur fortune personnelle?)
En octobre dernier, (...) au nom du gouvernement
koweïtien en exil, le cabinet d'avocats Cleary, Gottlieb, Steen &
Hamilton vient de charger Kroll Associates, la meilleure firme américaine
de détectives, de retrouver la fortune irakienne déposée
à l'étranger. Mais surtout de prouver que Saddam Hussein
a volé son peuple depuis son arrivée à la tête
de l'Etat.
(Comme par hasard, au moment où les alliés
veulent justifier le maintien du blocus qui étrangle l'Irak).
L'enquête n'est pas terminée. "C'est
comme peler un oignon", explique au Vif / L'Express David E. Rosenthal,
rencontré à Paris. Mais le gouvernement koweïtien, de
retour dans l'émirat, a décidé, le 24 mars, de révéler
quelques pistes.
(Maigre excuse pour la plus grande agence de
détectives du monde!)
Hachette - à ce jour, Kroll n'a découvert
qu'une société française...
("Révélation" connue en France
depuis 1989. Il n'y a rien de neuf dans le dossier de Kroll).
Les Irakiens seraient donc discrets. Le département
d'Etat a promis de l'être moins et de révéler prochainement
plus de détails sur le magot de Saddam...
(Il n'y en aura jamais d'autres...)
Conclusion: le dossier ne contenait rien et s'est dégonflé après quelques jours. On avait simplement besoin d'une campagne médiatique pour justifier le maintien du blocus. Une fois encore, par la personnalisation, l'insistance sur les méfaits de Saddam Hussein, le silence presque général sur les conséquences meurtrières du blocus.
Le monde du renseignement
10 avril 1991
On note une même volonté de médiatisation
outrancière dans la manière dont a été présentée
à grand bruit l'enquête confiée par le Koweït
à la société d'investigation privée américaine
Kroll Associates. Curieusement, Kroll n'a apporté aucune preuve
de la multitude de placements que le dictateur irakien est censé
avoir réalisés à travers le monde, si ce n'est une
participation de 8,4% dans le groupe français Hachette, à
travers la société panaméenne Montana. Or, cette participation,
connue depuis 1989, avait déjà fait l'an dernier l'objet
de plusieurs articles de presse. Il semble surtout qu'à travers
cette opération, les koweïtiens aient tenu à démontrer
que si l'Irak avait pu supporter pendant toutes ces années un prélèvement
systématique de 5% de ses revenus pétroliers par Saddam Hussein
et sa famille, il pourrait supporter sans trop de difficultés une
"taxe" de 10% pour dédommager le Koweït".
Olivier Schmidt, rédacteur en chef de
la lettre d'information confidentielle qui a publié le jugement
ci-dessus, nous a indiqué : Kroll, n'apportait rien de neuf. Tout
ce qu'ils disaient, était déjà connu. Les médias
américains ont fait comme s'ils découvraient quelque chose
d'important à ce moment. Par la suite, cela s'est complètement
dégonflé, il n'en est rien resté. Ce genre de campagnes
remplit un rôle précis pendant quelques jours."