FMI et Banque Mondiale sous le feu de la critique

                             Doutes au Nord, exaspération au Sud

                      Source : Le Monde Diplomatique, n° 558, septembre 2000

A Prague, du 19 au 28 septembre, se tiendra la 55 ème assemblée générale annuelle des Conseils de gouverneurs du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. A cette occasion, de grandes manifestations se dérouleront dans la République tchèque, rappelant aux fonctionnaires de ces institutions, généreusement payés (1), que le temps est fini où ils pouvaient élaborer en chambre des programmes "d'aide" à des pays dont ils ignoraient à peu près tout.
(1) M. James D. Wolfensohn, président de la Banque mondiale, explique lui-même le conformisme de ses subordonnés : "A la Banque, il y a 140 nationalités, des gens qui aiment y travailler, qui ont une belle vie, qui habitent en Virginie, leurs enfants sont à l'école américaine...
Beaucoup ne veulent pas prendre le risque de perdre leur boulot, donc leur visa aux Etats-Unis,
et revenir dans leur pays d'origine." (Libération, 10 juillet 2000).
Cet exercice était à la portée d'un simple stagiaire puisque, un peu comme pour un contrat de location de voiture prérédigé, les programmes avaient été élaborés une fois pour toutes et stockés
dans les disques durs des ordinateurs. Ne restaient à ajouter que le nom du pays, quelques données budgétaires et monétaires, les objectifs de remboursement de la dette à atteindre et, pour cela, la liste des lois sociales à "flexibiliser", des tarifs douaniers à abaisser, des entreprises publiques à privatiser, des programmes sociaux, des services publics et des subventions à supprimer, des impôts à augmenter, etc.

On allait oublier les missions de "terrain", car il y en avait beaucoup, d'exploration, de négociation, d'évaluation, qui se résumaient le plus souvent à des trajets en limousine entre la piscine d'un hotel cinq étoiles et les bureaux climatisés du ministre des finances local. Ce dernier était aux petits soins, faisant preuve de la déférence requise à l'égard de personnages imbus de leur importance, ne parlant que rarement sa langue, sauf si c'était l'anglais, mais disposant d'un droit de vie et de mort sur tel ou tel projet, voire sur des pans entiers de l'économie. Quant aux grandes messes régulières, séparées ou communes, des deux institutions, elles étaient autant de lieux d'échange de discours prévisibles et de communiqués convenus et parfois surréalistes : on se souvient encore qu'à l'automne 1997, c'est-à-dire au moment où la crise financière asiatique faisait des ravages, et à Hongkong de surcroît, le FMI avait réaffirmé sa foi dans la liberté de circulation des capitaux pour favoriser l'allocation optimale des ressources ! La presse économique et financière, abreuvée de cocktails où elles se frottait au gratin mondial de la finance, se reconnaissait bien dans ces platitudes libérales et en rendait fidèlement compte.

Pourquoi parler au passé ? Les logiques du Fonds et de la Banque auraient-elles subitement changé ? Non, et l'Equateur, entre autres, en sait quelque chose. Mais deux phénomènes ont jeté une douche froide sur l'assurance satisfaite qu'affichaient les deux institutions. Tout d'abord, le constat de la faillite de leurs politiques qu'elles sont contraintes de reconnaître, ce qui les amène à
esquisser des actes de contrition, voire de repentance. Ensuite les projecteurs maintenant braqués
sur chacune de leurs missions et réunions par des manifestants mobilisés en nombre.

Déjà, en 1998, le secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait dû recevoir une délégation d'opposants à l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI), qui faisaient la chaîne dans le parc du Château de la Muette. Puis il y eut
le fiasco de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Seattle, en novembre 1999 ; puis les milliers de manifestants de Washington contre la réunion du comité monétaire et financier international du FMI, le 16 avril dernier ; puis, le 31 mai, à Buenos Aires, les 40 000 manifestants venus dire à la délégation du FMI reçue au palais présidentiel qu'elle n'était pas la bienvenue ; puis, en juillet, la réunion du G8 à Okinawa protégée par 22 000 policiers...

A tout sommet international répond désormais un contre-sommet de syndicats, associations et mouvements de citoyens venus de nombreux pays, obligeant ses organisateurs à un intense effort de relations publiques pour tenter, en vain, de désamorcer les critiques. Ces mobilisations témoignent d'un saut qualitatif majeur dans la perception des mécanismes de fonctionnement du système libéral globalisé. C'est moins à Paris ou à Berlin que dans les sommets européens, tel celui de Lisbonne en mars 2000, que se prennent les grandes décisions qui affectent les français et les Allemands. C'est moins au Brésil qu'au siège du FMI, à Washington, que se décide le sort de dizaines de millions de Brésiliens.

Si l'OMC a, ces derniers mois, largement tenu la vedette dans les rencontres internationales contre la mondialisation libérale, elle est en passe d'être "rattrapée" par les institutions de Bretton Woods. Voilà un autre saut qualitatif important et un témoignage de solidarité Nord-Sud : alors
que le libre-échangisme a des conséquences dans tous les pays, développés ou non, le FMI et la Banque mondiale opèrent, pour l'essentiel, dans les pays moins industrialisés (lire plus loin "Dans l'ombre de Washington") et sont relativement "invisibles" dans la triade Amérique du Nord- Europe-Japon. Dans ces pays, le débat public à leur sujet était resté confiné aux associations de solidarité avec le tiers-monde et à quelques médias. Ces temps sont révolus. Il est maintenant de plus en plus évident qu'existent une identité de vue idéologique et une division du travail concertée, même si elle n'est pas exempte de conflits, entre l'OCDE, l'OMC, la Banque mondiale, le FMI, le G8 et la Commission européenne. A dispositif de contrôle global, réactions elles aussi globales et demandes de changements radicaux.

Ces changements sont encore plus difficiles à mettre en oeuvre à la Banque et au Fonds qu'à l'OMC, dans la mesure où le poids du Sud, pourtant le premier concerné, y est quasiment inexistant en raison du verrouillage américain : chaque pays ne compte pas pour un, mais pour le nombre de dollars de ses quotes-parts. Mais, paradoxalement et contrairement à l'OMC, c'est aussi du sein même des institutions de Bretton Woods et de certains cercles dirigeants américains que viennent quelques-unes des critiques les plus acerbes.
Ainsi M. Joseph Stiglitz, ancien chef des économistes et vice-président de la Banque, acculé à la démission par le département du Trésor en raison de ses analyses non conventionnelles, a sévèrement étrillé le FMI pour sa gestion catastrophique de la crise asiatique. Un autre haut responsable de la Banque, M. Ravi Kanbur, a lui aussi démissionné après que son rapport annuel sur le développement (où il affirmait que la croissance n'entraînait pas de réduction de la pauvreté et des inégalités) a été censuré sous la pression américaine. Le départ de ces deux économistes a créé un très sérieux malaise chez les hauts responsables de la Banque et du FMI, et décrédibilisé
sérieusement les politiques qu'ils mènent.

Ils n'ont guère trouvé de consolation dans le rapport d'un groupe de travail constitué à la demande du Congrès américain et présidé par M. Allan Metzer. Publié en mars 2000, le rapport Metzer préconise non pas de réformer le fonctionnement du Fonds et de la Banque, mais de restreindre drastiquement leurs engagements... et par voie de conséquence leurs effectifs.
 

Auteur : Bernard Cassen


Suite : Que faire du Fonds monétaire international ?


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