Que faire du Fonds monétaire international ?

                             Source : Le Monde Diplomatique, septembre 2000
                                                    Par Isabelle Grunberg

Ancienne économiste principale au Programme des Nations unies pour le développement.

La politique, c'est l'art de décider "qui obtient quoi, quand et comment". Sous des dehors technocratiques, le Fonds monétaire international "fait de la politique" à plus d'un titre dans les pays sur lesquels il exerce son influence. Et les bénéficiaires de ces politiques sont plus souvent riches que pauvres. En ce qui concerne le FMI, on peut même parler d'une véritable redistribution
en faveur des riches, tant au niveau national qu'au niveau mondial.

Au plan national, cette redistribution à rebours est la conséquence directe des programmes économiques qui constituent l'invariable noyau dur des conditionnalités imposées : les politiques de l'offre, qui visent à attirer les investisseurs même si c'est au détriment des droits des travailleurs et de l'environnement ; la réduction au strict minimum des services et programmes sociaux, la transformation de la santé et de l'éducation en prestations payantes, et la suppression des subventions aux aliments et autres produits de première nécessité ; l'insistance sur la stabilité de la monnaie, qui profite aux détenteurs de capitaux et joue contre les plus démunis, victimes des mesures d'austérité (défavorables à l'emploi), et sur la rigueur budgétaire ; les politiques monétaires restrictives (hauts taux d'intérêt) qui bénéficient davantage aux riches qu'aux pauvres,
dans la mesure où les premiers disposent d'actifs alors que les seconds sont endettés ; l'accent mis sur la constitution de réserves de change, qui nécessite également de freiner la consommation et les importations afin de dégager des excédents commerciaux ; la libéralisation des mouvements de capitaux : elle entraîne des crises financières avec, à la clé, des mesures d'ajustements dont le poids est prioritairement supporté par les plus pauvres ; les privatisations dans des secteurs non soumis à la concurrence, créatrices de rentes au détriment des usagers ; des réformes fiscales qui privilégient "l'élargissement de l'assiette fiscale" (aux plus pauvres).

Résultat : l'inégalité des revenus a plus que doublé dans le monde depuis 1960, tandis que le fossé
entre pays riches et pauvres a triplé (1). (Le rapport entre le revenu des 20% les plus riches et celui des 20% les plus pauvres est passé de 1/30 en 1960 à 1/74 en 1997. Le fossé entre le revenu moyen par tête dans les pays riches et dans les pays pauvres est passé de 5 700 $ en 1960 à 15 400 $ en 1993).

D'après le FMI, pourtant, il ne s'agit là que d'une potion amère qui, à long terme, va guérir le malade. De plus, un brin d'inégalité n'est pas une mauvaise chose. Il permet de dégager des ressources en capitaux pour investir. Or avec le recul, on s'aperçoit que, même en fonction de critères purement économiques, et même à long terme, cette thérapeutique a presque partout échoué. On l'a d'abord constaté avec la "décennie perdue" de l'Afrique des années 90, avec le
"grand bond en arrière" des pays de l'ancien bloc de l'Est. Pour couronner le tout, on a vu comment, à la fin des années 90, la crise financière d'Asie du Sud-Est a effacé du jour au lendemain des décennies de progrès social dans la région. Et voilà maintenant que la Banque mondiale reconnaît que l'Amérique latine ne se porte pas mieux qu'il y a vingt ans.

La seule région du monde qui a connu une croissance forte et ininterrompue au cours des vingt dernières années a aussi été l'un des rares pays a avoir mené sa politique de façon indépendante,
la Chine.


Suite : Dans l'ombre de Washington


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