Introduction

"Le président Bush pense que la couverture médiatique de cette guerre est extraordinaire".  CNN, 26 janvier 91.
 

Et vous? Aussi satisfaits que le président? Il semble que non puisque, selon les sondages français, la crédibilité des journalistes est en baisse spectaculaire.
Quant aux journalistes français eux-même, ils sont moins satisfaits que Bush: 81% d'entre eux estiment avoir été manipulés par les sources militaires alliées. (Sondage publié dans "La presse en état de guerre", éditions Reporters sans Frontières, p. 126).
Mais qu'a fait la presse occidentale pour tenter d'échapper à cette manipulation? Pas grand-chose si l'on en croit un ancien porte-parole du Département d'Etat, Hodding Carter: "Si j'étais le gouvernement, je paierais la presse pour la couverture dont il bénéficie actuellement."
(C-Span USA 23/02/91)
Paradoxe: selon un sondage, au début janvier 91, 75% des français pensaient qu'aucune cause, même juste, ne justifiait une guerre. Par contre, quelques jours plus tard, ces mêmes français approuvaient à 80% l'offensive militaire des alliés. Entre les deux, que s'était-il passé?
Une couverture médiatique trompeuse, une mise en scène d'une guerre prétendue "propre et courte". Ce n'était pas une erreur de pronostic. En fait, après cinq mois de campagne médiatique sur la "menace irakienne", l'opinion approuvait la guerre, mais craignait d'y voir mourir des Occidentaux. "Propre et courte" était donc une stratégie délibérée et efficace pour vendre la guerre.
Plus fondamentalement, était-ce la seule manipulation? Toute la crise, depuis le 2 août 90, n'avait-elle pas été couverte de manière à conditionner l'opinion publique?
(Voir sur ce site, le livre: Les Sociétés secrètes, le chapitre: Le contrôle de l'information)

Les médias ont-ils appliqué leurs règles déontologiques de base? Les journalistes ont-ils été victimes des militaires ou bien ont-ils eux-mêmes manipulé? Par quels procédés concrets? Voilà les questions auxquelles ce livre veut répondre. Montrer comment des manipulations médiatiques peuvent fausser les jugements de l'opinion publique. Et donner les moyens de les repérer à l'avenir.
Pour ce faire, nous avons choisi un exemple frappant: la crise du Golfe. Journaliste travaillant en dehors du système des médias traditionnels, nous avions été frappé de constater à quel point la presse occidentale cachait un grand nombre d'informations que nous connaissions par d'autres sources. En tant que lecteur et spectateur nous-même, cela nous a causé un choc: est-ce ainsi que l'on nous informe? Après la guerre, nous avons donc relu tous les articles que le quotidien français Le Monde et le quotidien belge Le Soir ont publiés sur le Golfe, au mois d'août 90 et au mois de janvier et février 91. Ces quotidiens sont considérés comme des modèles de presse de qualité. Ont-ils justifiés cette réputation? Ont-ils appliqué les règles du journalisme telles qu'on les enseigne dans les écoles de journalistes?
Nous avons également revisionné, pour la France, les journaux télévisés de TF1 et Antenne2, pour la Belgique, ceux de la RTBF et de RTL consacrés aux faits les plus marquants de la guerre.
Nous avons ajouté des analyses plus ponctuelles d'autres médias: Paris-Match, Le Nouvel Observateur, l'Express, un quotidien belge de type "populaire", La Meuse et d'autres encore.
(Certes, divers médias français ou belges ont apporté un autre type d'information, nous en parlerons plus loin. Mais leur audience était marginale. Ce qui nous intéressait, c'était d'analyser les médias dominants, ceux qui font l'opinion publique. C'est ceux-ci qu'il faut entendre quand ce livre juge "les médias". A signaler aussi: lorsqu'une date est mentionnée sans indiquer l'année, il s'agit d'août 90 ou de janvier-février 91.)
Relire ou revisionner, puis comparer ces médias entre eux est déjà très instructif. Il est bien dommage que, dans la vie courante, le lecteur ou le spectateur ordinaire n'ait pas le temps de relire, de comparer, de tester ce que les médias lui disent. Mais dans l'ensemble ces médias occidentaux ont exposé la même version des faits. Nous avons confronté cette version à d'autres sources: dépêches d'agences, communiqué de presse, médias de pays arabes (Algérie, Tunisie, Jordanie...). Nous avons aussi intérrogé des journalistes, des envoyés spéciaux, des témoins directs. Connaissant peu les médias arabes, nous laissons à d'autres, plus compétents, le soin de les analyser. De nombreux intellectuels arabes ont exprimé des critiques et des suggestions sur ce que devrait être la presse arabe. Un débat tout à fait nécessaire, mais différent: ce sont les médias du Nord qui ont influencé l'opinion mondiale.

Ce livre est le résultat d'une étude comparative rigoureuse. Nous avons donc choisi une voie plus lente que la simple juxtaposition de réflexions superficielles. Celles-ci ont permis aux médias de limiter leur "autocritique" tout comme après Timisoara, à quelques lieux communs ménageant soigneusement le consensus. Notre voie a consisté à investiguer à fond, fouiller les textes, rassembler toutes les pièces du dossier, retracer sérieusement toute la chronique de l'information et de la désinformation. Seule cette méthode permettait de trier le vrai du faux et de reconstituer le processus de fabrication des médiamensonges.
Ce bilan est consternant. On nous a menti sur toute la ligne. Les photos satellites prouvant la menace irakienne sur l'Arabie Saoudite au début d'août 90? Du bluff. La quatrième armée du monde, les menaces nucléaires ou chimiques irakiennes, les fortifications infranchissables? Des leurres. La prétendue intransigeance de l'Irak, son refus de négocier? Un mensonge intéressé, cachant au public ses nombreuses offres de paix avec retrait du Koweït. La marée noire de "l'éco-terroriste Saddam Hussein"? La seule chose sûre, c'est que les Américains ont provoqué au moins quatre des cinq marées noires du Golfe et que les médias devaient le savoir. Le cormoran mazouté? Une imposture: des images d'archives malhonnêtement présentées comme actuelles. La plus grandes parties des "atrocités" commises au Koweït par les troupes irakiennes? Des rumeurs fabriquées par les services alliés de désinformation. Les "tortures" infligées aux pilotes alliés prisonniers? Un mensonge délibéré pour faire monter l'indignation. Même le fameux gazage d'Halabja suscite de serieux doutes car on a caché tous les éléments contredisant la thèse de la responsabilité irakienne.
La liste pourrait être continuée longtemps: sur pratiquement chaque épisode, chaque thème important du conflit, il y a eu manipulation grave. Vous en trouverez ici les preuves. Le dossier est complété par des contributions provenant de trois auteurs anglais, américain et indien.
Beaucoup de médiamensonges se trouvent ainsi démontés. Pour autant, nous ne prétendons pas avoir atteint la vérité absolue sur tous les faits en question. Une leçon à tirer de cette enquête est que, pour certains faits importants, aucuns journaliste ne peut prétendre savoir avec certitude ce qui s'est passé. Mais en tout cas, nous montrons que ce qu'on nous a raconté ne tient pas debout.

La Maison Blanche, qui s'en étonnera?, a mis en oeuvre des moyens importants et sophistiqués pour diriger l'information. Comment les médias ont-ils réagi? Ont-ils donné au public les moyens de se former malgré tout un jugement indépendant? Ou bien ont-ils joué un rôle d'écho complaisant, voire propagandiste?

Une fois les médiamensonges dévoilés, reste à savoir qui en est responsable. Les médias ont-ils été "surpris" par la censure militaire? Ou bien est-ce une excuse facile pour cacher leurs propres carences? Il sera utile de vérifier s'ils nous avaient informés correctement sur quelques cas précédents: Malouines, Grenade, Panama. Sans oublier le Viêt-nam: était-ce vraiment le "bon temps" où les journalistes faisaient bien leur travail?
Plus généralement, la désinformation était-elle un dérapage, une bavure due aux circonstances exceptionnelles de la guerre? L'info en temps de paix est-elle de meilleure qualité? Est-il possible qu'une information tendancieuse fabrique artificiellement le "consensus" de l'opinion publique?
Ces questions dépassent l'enjeu du Golfe et en entraînent d'autres. Quels sont les liens entre les grosses entreprises, les gouvernants, les militaires et les médias? La démocratie est-elle compatible avec un système médiatique qui n'est pas démocratique puisque le pouvoir y est de plus en plus concentré aux mains de quelques milliardaires: Hersant, Berlusconi, Bertelsmann, Murdoch? Jusqu'où va l'autocensure? Peut-on quand même pratiquer honnêtement ce métier? Existe-t-il des journalistes "dissidents"?

Nous ne cachons pas notre opposition personnelle à la guerre, précisément, nous reprochons à la presse de se prétendre sans idéologie, mais nous avons tenu à présenter un maximum de documents, y compris des extraits du Monde, du Soir, de TF1, etc. Ainsi, le lecteur pourra se former lui-même son opinion sur ces textes, même s'il ne partage pas telle ou telle de nos analyses.
Notre livre s'adresse aux journalistes, dont une partie cherche à échapper à ce système des médias. Mais il s'adresse surtout au public, aux consommateurs de médias. Tester les produits de consommation est entré dans les moeurs grâce aux associations de consommateurs. Pourquoi ne contrôlerait-on pas la fiabilité de la presse? A quand un "test-médias"? C'est dans cette voie que nous voulons avancer.
 

                                                                                                          Michel Collon

suite...

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